Lettre ouverte à l’Evêque de Luçon
Je viens de découvrir votre « lettre aux vendéens » dont l’objet est « l’euthanasie ou l’élimination légale des plus vulnérables ». Je me permets, avec humilité de présenter une analyse de cette tribune sur le fond et sur la forme.
Vous pouvez lire la lettre aux Vendéens de Monseigneur François Jacolin à la suite de ma réaction.
Lettre ouverte à l’Evêque de Luçon
Monseigneur,
Je viens de découvrir votre « lettre aux vendéens » dont l’objet est « l’euthanasie ou l’élimination légale des plus vulnérables ». Je me permets, avec humilité de présenter une analyse de cette tribune sur le fond et sur la forme.
Le ton est donné dès le deuxième mot : « offensive ». Feindre d’être attaqué ou menacé afin de légitimer une violence proportionnée en retour, est un procédé vieux comme le monde. Cependant, trop de névroses tuent la crédibilité du discours. Celuici est carrément dévoyé en une sorte de « règlement de compte ». Est-ce bien charitable ? Tous ces mots empreints de haine, à peine contenue, virevoltent : « offensive » , « sournoisement » , « supprimées », « violence morale terrifiante », « culture de mort », « barbarie meurtrière », « diable », « convoitise », « meurtrier », « menteur », « père du mensonge » . Leur intensité et leur résonance sont graduelles, pour finir en apothéose. Nous y voilà, le diable ! Le mot est lâché. Dans les troubles schizophréniques, ce mot est souvent évoqué, lors de bouffées délirantes aigues.
Je suis une dame de 70 ans, vendéenne d’adoption, mariée depuis plusieurs décennies, avec des enfants et des petits enfants. Je suis entourée d’amour, d’éclats de rire. Baptisée catholique par tradition familiale, je me démarque totalement de ma religion et des positions de l’église sur les sujets de fin de vie.
Nous sommes des êtres humains et non pas « des objets d’expiation du péché originel ». Le dolorisme chrétien, véritable fond de commerce, doit être dénoncé en tant que tel. Votre confrère, Mgr Rey, nous éclaire : « la souffrance participe de la douleur du Christ sur la croix ». Quel héroïsme, drapé de vertus chrétiennes, est ainsi mis en exergue avec la souffrance des autres, bien sûr !
La perversité suprême serait donc de faire souffrir tout le monde. Un vrai sujet de thèse pour des étudiants en psychiatrie ou en anthropologie.
Personnellement, je pense que la légitimation d’actes de torture, fusse par la religion, devrait relever des tribunaux, comme l’incitation à la haine. La spiritualité date de la nuit des temps, elle est intime, personnelle et éprouvée. Elle ne s’inscrit ni dans l’obscurantisme, ni dans le dogme. Je crois que nous sommes tous unis par une aspiration qui nous dépasse quelle que soit le nom que nous lui donnons. La religion qui se dévoile ici est l’antithèse de l’amour et de la fraternité. Pour ma part, j’ai trouvé Dieu par introspection et je lui adresse souvent cette même prière : « mon Dieu délivrez nous des religions ».
Votre expertise en matière de déontologie médicale n’est en rien démontrée. A contrario, l’art de « supprimer » les bien portants tout au long de l’histoire, par la religion, n’est plus à démontrer. Je conseille à mes lecteurs la lecture du site : « la page noire du christianisme, 2000 ans de crimes, terreurs, répressions », d’Enrico Riboni. Je conseille également sur le net la lecture d’un fait divers connu sous le titre : « les fantômes du couvent hantent la ville irlandaise de Tuam ». Celui-ci relate la découverte de 796 petits corps de bébés, nés hors de liens du mariage et jetés, sans sépulture, dans la fosse commune du couvent « le home des sœurs du bon secours ».
Dans tous les sondages réalisés, une écrasante majorité de français se prononce en faveur d’une aide active à mourir. Bien évidemment, il s’agit de désir individuel mais, ce sont les individus qui font société. Le sujet est récurrent à l’heure actuelle car les progrès de la médecine sont tels qu’on peut faire durer des agonies au-delà du supportable. Les patients doivent revendiquer le droit de mourir. Dans la loi Léonetti/ Claeys de 2016, ils sont soumis à l’arbitraire des médecins qui sont seuls juges du moment de la sédation et de son intensité. Les agonies s’étirent pendant des semaines, les patients présentent des stigmates de douleur insupportables. Soyez rassuré, Monseigneur, ce qui est autorisé par la loi n’est pas forcément préconisé. Il ne sera pas nécessaire de quémander une grâce pour continuer à vivre. Cette insertion s’inscrit pour nous dans un véritable registre de l’horreur. Les victimes collatérales des progrès de la réanimation comme l’était notre enfant, représente à n’en pas douter un vivier inépuisable de sacrifiés des temps modernes. Vous nous taxez avec légèreté et cynisme de « barbares » alors, je vous soumets deux exemples de barbarie qui nous tiennent à coeur :
- Notre fils est resté en coma végétatif chronique irréversible pendant 8 ans 1/2, totalement inconscient et paralysé. Il était nourri artificiellement et respirait par trachéotomie. Déglutissant à minima sa propre salive, il faisait en permanence des fausses routes. Ainsi, quotidiennement il s’étouffait dans ses propres glaires.Il est mort sans sédation dans une agonie atroce dénoncée unanimement par les personnalités politiques et médicales de l’époque. Monsieur le député Jean Léonetti a dénoncé cette ignominie dans son livre « à la lumière du crépuscule » en parlant d’un « laisser crever ».
- Le deuxième exemple est insoutenable, il s’agit de l’étude pathétique de l’équipe clinique de l’hôpital Cochin sur les cas de 25 nourrissons grands prématurés non viables. Cette équipe décide collégialement et en accord avec les parents d’arrêter les soins, mais aussi l’alimentation et l’hydratation artificielle de ces nourrissons de quelques jours ou de quelques semaines tout au plus. « Tous disent, poursuit le Dr Fournier, que ce temps devient angoissant s’il se prolonge : il est insupportable au-delà de trois, quatre jours, et intolérable au-delà d’une semaine ». « Il est inhumain d’attendre aussi longtemps que son bébé meure », a exprimé une mère. Un autre parent relate : « On a vécu l’enfer, cela a été trop, trop long, on attendait, on attendait ; la dernière semaine, on n’arrivait plus à y aller ». Ou encore : « Ils m’avaient dit que ce serait court, cela a duré dix-huit jours, c’était un bébé potelé, à la fin elle était devenue méconnaissable. » Un médecin avoue : « Au bout de huit jours, la tentation de l’euthanasie devient lancinante. » Elizabeth Belghiti, psychologue déclare : « C’est un sentiment d’effroi. Il y a quelque chose d’inconcevable. Comment ne pas nourrir un nourrisson, alors qu’un enfant, on le nourrit, c’est le lien ». Un médecin-réanimateur déplore : « Il y avait une atmosphère difficile, les infirmières pleuraient, le visage du nourrisson devenait si lisse que l’on ne voyait plus d’expressions. » Laurence Brunet, juriste, écrit : « Ils disent que les deux ou trois premiers jours, quand ils peuvent pour certains prendre leur enfant dans leurs bras, il y a une intimité qu’ils n’avaient jamais vécue, mais dès que cela dure, dès que la peau se dégrade, c’est insupportable. » Marta Spranzi écrit : « Il y a cette idée qu’il faut que les parents fassent le deuil. J’en doute, nous avons vu beaucoup de souffrance. Plus le lien se fait, plus la séparation est dure. » Laurence Brunet : « D’autant que la dégradation du corps est inhumaine. Voire leur enfant devenir une poupée de chiffon… C’est souvent les dernières images qui vont donner du sens à cette fin de vie. » Elisabeth Belghiti, psychologue, fait une analyse encore plus terrible et revient au point de départ : Quand on va dire aux parents que leur enfant ne va pas souffrir de la faim, est-ce concevable ? Entendable ? Je ne le crois pas, nourrir son enfant, c’est le cœur de la parentalité. L’arrêter, c’est impensable. Et puis, ce temps d’agonie qui dure : C’est un faux-semblant de vie, avec un petit corps qui souffre, qui se rétrécit. Un nourrisson ? On le voit grandir. Là, c’est l’inverse, c’est à la limite de l’humain. Des parents ne viennent pas. D’autres ne viennent plus. Ils ne se sentent pas coupables, mais responsables, dit Belghiti. Ils ont quand même donné leur accord, ils sont tous pour l’arrêt des soins, mais celui de l’alimentation, c’est autre chose… Assister à la décroissance de son enfant ? Ils en sont hantés » (journal Libération du 28 février 2014)
Travestir l’ultime requête de ces parents en un caprice, présenter la requête des patients en phase terminale de maladie incurable (en proie à d’indicibles souffrances) comme « un désir de se supprimer », constitue une véritable provocation. Non, Monseigneur, il ne s’agit pas d’une option attirante, futile, dérisoire, d’une sorte de caprice, c’est un cri de douleur, un appel à l’aide. En guise d’écoute compassionnelle, vous restez sourd. Et, plus grave encore, vous disqualifiez celui qui implore un peu de pitié.
L’incontournable poncif des « pires idéologies du vingtième siècle » à rapprocher de l’aide active à mourir n’est même plus à expliciter, il ne mérite que le dédain. Selon l’écrivain, Mr. Riboni et d’autres documents glanés sur le net, nous avons confirmation que le Vatican était au courant des exterminations des juifs par les nazis.
Le point d’orgue de cette tribune est le pseudo constat, fait uniquement par vous même. Je sais que dans les pays qui ont instauré une loi sur l’aide active à mourir, les plus vulnérables ne sont pas « supprimés ». Qui est ce « on », qui fait ce constat ? Quel mépris pour des millions de gens et leurs représentants politiques, pour les médecins, pour les scientifiques de tous ces pays ! Quelles sont vos références en littérature médicale pour lancer gratuitement de telles anathèmes ?
Les mots sophisme, mensonge etc …, enfilés comme des perles, sont nuls et non avenus, car jamais étayés d’arguments, de références, de dates, de faits précis. Les français ne sont pas les décérébrés que vous croyez. Ils sont en capacité de reconnaître le travestissement de la réalité, la duperie. Par ailleurs beaucoup d’entre nous avons malheureusement connu des expériences de fin de vie tragiques de nos proches en phase terminale de cancer, des parents atteints de la terrible maladie de Charcot qui meurent étouffés. Pouvons-nous imaginer la détresse de nos semblables atteints de maladies neurodégénératives qui se voient délaissés par l’institution.
Les paroles de notre grand Victor Hugo m’apparaissent de plus en plus douces, pertinentes et salvatrices : « l’état chez lui, l’église chez elle ! »
Quelle curieuse religion que celle qui distille l’angoisse de la mort, qui la brandit comme un épouvantail, prétendant parallèlement que la société veut la brandir en étendard. Le sentiment général anti-chrétien qui émane de cette tribune, me déstabilise et m’effraie !
Citation d’Albert Camus : Le christianisme, dans son essence, est une doctrine de l’injustice. Il est fondé sur le sacrifice de l’innocence et l’acceptation de ce sacrifice.
Danièle Pierra
Diocèse de Luçon le 15 avril 2021
Lettre aux Vendéens
L’euthanasie ou l’élimination légale des plus vulnérables.
Une nouvelle offensive de ceux qui prônent une légalisation de l’euthanasie a eu lieu au Parlement français. On y retrouve le même processus que dans les autres « questions sociétales ».
Des militants mettent en avant des revendications particulières au nom des libertés individuelles pour que le pouvoir législatif produise une loi qui, non seulement légalise l’euthanasie, mais exige aussi que la société mette en œuvre des moyens financiers et médicaux pour des « suicides assistés ». Tout cela soutenu par une active campagne médiatique qui laisse entendre qu’en s’opposant à la légalisation de l’euthanasie on manquerait de compassion envers ceux qui réclament ce « denier acte de dignité ».
La loi n’a pas pu être votée dans son ensemble faute de temps, mais l’article 1er, qui prévoit la création d’une « assistance médicalisée active à mourir », a été soutenu par les trois-quarts des députés présents.
Ce genre d’obligation « d’assistance » imposée à l’ensemble de la société est le produit d’un sophisme cherchant à contraindre toute la société, et chaque citoyen, à contribuer à la réalisation d’un désir individuel qui n’entre pas dans la catégorie morale de « l’obligation d’assistance à personne en danger ».
Beaucoup pus grave. Si une loi est promulguée dans le sens d’une euthanasie, s’instaure sournoisement dans les mentalités, comme on le constate dans les pays qui l’ont fait, l’idée qu’il est préférable que ceux qui souffrent (les personnes atteintes d’une maladie incurable, les personnes âgées en fin de vie, mais aussi les personnes handicapées, etc.) soient supprimées. Certes, nous avons à mettre tout ce qui est moralement possible pour soulager la souffrance des autres, mais faut-il aller jusqu’à l’euthanasie qui, pour supprimer la souffrance, supprime la vie ?
Il y a la souffrance physique, mais la souffrance morale est souvent pire. Ayons bien conscience que le message qui serait donné par la légalisation de l’euthanasie, sous prétexte de répondre au désir de ceux qui ont décidé de se supprimer, est que toute personne en fin de vie, ou seulement qui est à charge à cause d’une maladie incurable ou d’un handicap, est de trop dans la société et même dans sa famille : quelle violence morale terrifiante ! D’une façon apparemment consensuelle et douce, nous risquons d’arriver aux mêmes abominations que les pires idéologies du XX ème siècle.
Quelle pression morale est alors exercée sur la personne gravement malade, inerte, souffrante et qui désire vivre ! Devra-t-elle s’en excuser auprès de ses enfants, de son entourage, de la société ?
Est-ce que continuer à vivre deviendra une grâce à quémander ? A l’inverse, comment ignorer la tristesse d’enfants dont le père ou la mère aura programmé sa « mort assistée », avec l’approbation et le concours d la société ? Je demande à tous les chrétiens de se laisser interroger par leur conscience, dans la prière et à la lumière de l’Evangile, pour déceler les mensonges d’une culture de mort qui se cache derrière des arguments compassionnels faussés et qui nous entraîne dans la logique d’une barbarie meurtrière.
Pour conclure, je veux vous rappeler ces paroles trop peu méditées, elles sont pourtant paroles du Christ lui-même, et donc paroles de vérité et de vie pour nous aujourd’hui :
Vous, vous êtes du diable, c’est lui votre père, et vous cherchez à réaliser les convoitises de votre père. Depuis le commencement, il a été un meurtrier. Il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Quand il dit le mensonge, il le tire de lui-même, parce qu’il est menteur et père du mensonge. (Jean 8, 44)
François JACOLIN Evêque de Luçon
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