Laïcité, garantie de la liberté de penser
Un état… d’esprit
La Laïcité est l'état d'esprit consistant à ne pas faire interférer ses croyances religieuses dans la vie sociale, à reconnaître à chacun le droit d'avoir ses propres idées et croyances qui sont du domaine privé. Mais l'attitude laïque implique que nul ne peut imposer à autrui un comportement ou lui en interdire un, au nom de son opinion religieuse . Par ex "ma religion interdit telle chose donc toi qui n'es pas de cette religion tu dois quand même te soumettre à cet interdit parce que sinon ce serait de l'irrespect à l'égard de ma religion" : cela est irrecevable.
Aucune croyance ou opinion ne peut servir à imposer quoi que ce soit à quiconque. Seul, l'état démocratique, dans le respect des ses institutions, peut le faire au nom de l'intérêt général.
Commun
Ce sont les lois sociales de la société considérée qui priment, car elles définissent l'espace public, social, comme bien commun, et établissent la non-ingérence du domaine privé des croyances dans le collectif. En protégeant ainsi le droit de croire de chacun, tout en délimitant ses frontières, la laïcité institue une latitude paisible dans laquelle chacun peut s'identifier, pratiquer ce qui lui chante et reconnaître la liberté d'autrui. Cette attitude partagée devient une identité publique dont chacun est le garant autant que le bénéficiaire. Elle est réglée par les lois démocratiques établies par le système de représentation populaire ; sa fonction est d'améliorer et de préserver cet espace commun... qui est celui de la liberté d'être, de penser, de communiquer.
Publication = disponible à tous
Mais si la laïcité institue et protège le droit d'avoir des idées et opinions, religieuses, politiques ou autres, il faut bien voir qu'à partir du moment où celles-ci sont communiquées, oralement ou par tout autre moyen, elles deviennent publiques puisqu’elles font l'objet de...publications. Etant dans le domaine public, cet état de fait la rend disponible à l'examen et à la réflexion de chacun. L'état de droit de la laïcité-liberté d'opinion et d'expression garantit et implique corrélativement que chacun a le droit d'avoir à son tour une opinion sur elles. Chacun a donc droit d'opinion sur les idées, croyances, des autres et le droit d’exprimer son opinion sur elles. Comme il le ferait à propos de n'importe quelle déclaration de telle personnalité publique. Mais pas de les interdire !
Droit à la connaissance
On doit respecter le droit d’autrui d’avoir la croyance X ou Y, même si elle nous paraît aberrante ou dépassée par le niveau des connaissances scientifiques. Mais les adeptes de cette croyance n’ont pas le droit, au nom de leur croyance, d’empêcher la communication d’opinions ou croyances différentes et encore moins d'empêcher des enseignements différents contraires ou opposés à leurs croyances. Le droit à la connaissance, à l’éducation, est un droit qui doit être réaffirmé comme universel, public, et absolu dans son principe. Il est par définition neutre (puisque obéissant à la rigueur scientifique) et non-figé dans sa forme puisque il évolue en fonction des découvertes scientifiques qui sont opérées.
Et pourtant ça résiste
Ce qui fait toute la difficulté à gérer la tendance invasive des croyances qui veulent imposer leur loi aux autres, et prétendent tout régenter, c'est l'intensité de l'investissement affectif dont elles sont l'objet. Car on n'aime pas que des personnes, des animaux et des 4x4. On aime aussi des idées, on est même prêt plus souvent qu'on ne le croit à se faire tuer pour des idées. Parce qu'elles structurent notre univers mental au point qu'on ne fait plus de différence entre elles et nous. Ou aussi parce qu'on les assimile aux valeurs auxquelles on s'est attaché ou dont on a été imprégné. Parce qu'enfin elles nous rassurent, colmatent notre angoisse devant la mort, l'inconnu !
Attachement
Mais surtout, ce qui fait qu’on est attaché à ses croyances c’est… le prix qu’elles nous ont coûté ! En termes de sacrifices : ce à quoi on a dû renoncer, les choix effectués sur lesquels il n’est plus possible ou trop coûteux de revenir, les contraintes auxquelles on s’est soumis… Comment reconnaître que tout cela ne valait rien ? C'est plus souvent qu'on ne croit la simple durée dans le temps de notre ignorance ou du crédit que nous avons accordé à des fariboles, mythes ou légendes, qui font qu'on refuse de les abandonner. En fait pour ne pas perdre la face à nos propres yeux comme au regard d'autrui.
Périmé
Et pourtant les idées et valeurs sont périssables. Elles peuvent même devenir tout simplement obsolètes, comme un vulgaire produit dépassé par une nouvelle pratique : les relations sexuelles avant mariage étaient l’horreur absolue, grand péché, il y a une cinquantaine d’années ; maintenant c’est l’inverse et c’est pas plus mal, on essaie bien une voiture avant de l’acheter pourquoi ne pas essayer amour et vie commune avant de s’engager ? La vie est trop courte et sur ce modèle, non, y a pas la marche arrière.
N'oublions pas qu'au regard de l'Histoire il y a plus de religions mortes que vivantes. Les religions, comme les dieux sont périssables. Et même très fragiles : il suffit de ne plus pratiquer et elles se dégonflent, dépérissent, se ratatinent et il ne reste d'elles que quelques ruines de pierre, derniers ossements d'un squelette de croyances pourtant affirmées comme vives, absolues et éternelles.
Représentations mentales
Ce qu’il faut bien voir, c’est que les croyances ne sont pas que religieuses. Elles peuvent être politiques ou idéologiques. On l’a vu avec le communisme ; et pas seulement celui d’Urss. Tout militant du parti communiste était dans un processus de croyance qu’il défendait mordicus (mensonges patents ex. invasion des chars russes en Tchécoslovaquie soi-disant demandés par le peuple tchèque), contre vents et marées (changement d’alliances, pacte germano-soviétique), contre la réalité (échec de la collectivisation), contre les génocides (famine organisée d'Ukraine, goulag, etc.), contre la folie (paranoïa stalinienne de l'appareil contre lui-même) et même contre le temps (gommage des photos après disgrâce des dirigeants). Tous ces comportements étaient dignes de ceux d'un appareil religieux (Inquisition, mensonges d'état ou ani-science, éradication des opposants, collusion avec les pouvoirs, etc.). Les croyances sont simplement humaines, relatives. C’est ce qu’elles fuient en dressant leur volontarisme en un absolu… que le temps rend pitoyable : un empire dure 70 ans.
Les croyances sont des représentations investies. En tant que représentations elles ne durent que le temps de notre ignorance, le temps que des découvertes nouvelles ne les modifient. Investies, c'est-à-dire qu'elles nous servent tant qu'elles nous sont utiles, et après on en change comme de chemises.
C'est naturellement
C'est pareil pour les religions. Croire semble aller de soi et être une donnée de l'individu au même titre qu'on est conducteur ou piéton avec d'ailleurs les mêmes allers-retours de l'un à l'autre selon les nécessités de sa vie. On serait tenté de dire qu'on a une religion comme on avait une Peugeot ou une Citroën, au point qu'on se disait peugeotiste ou citroêniste avec un esprit de chapelle et une fidélité supposée à toute épreuve. Et on change maintenant de religion aussi légèrement que de marque de voiture, sans état d'âme, à l'essai ("Un peu de pratique et vous en serez content"), soucieux de la qualité ("Vous pensez, 2000 ans d'ancienneté, Monsieur !") intransigeant question Service Après Vie ("On fait ce qu'il y a de mieux, vie éternelle et paradis compris, y a plus de malus"), et bientôt on demandera combien ils nous reprennent l'ancienne ("Désolé, elle vaut pas un clou... non, même si vous avez les quatre").
Bien étrange
Ce serait oublier qu'on s'y trouve engagé non tant dans un rapport avec un super patron (vraiment bien celui-là), mais en fait dans une relation étonnamment ambiguë avec soi-même. Nous nous y constatons confrontés à un étrange besoin, une sorte d’intransigeante nécessité intérieure qui se mue en nécessité de l'intransigeance, pour valider notre croyance.
Et le fait de se dire athée ou agnostique ne nous libère pas automatiquement de ce "besoin" à preuve les tentations d'addiction à quelque substitut religieux (idéologies, ferveur populaire dans les stades qu'envieraient bien des religions). Cela ne nous prémunit pas davantage contre un retour de flamme mystique qui constitue le fonds de commerce du New Age et de ses succubes. Pas plus l’athéisme militant ne nous garantit contre un reste d'animosité typique de la contre dépendance religieuse et qui nous y enchaîne avec les apparences de l'évasion réussie.
Tout ceci nous invite à explorer cette zone d'ombre de nos représentations où se mêlent conscience et savoir. A cet effet, il nous faut différencier ce qu'on entend par Religion et Spiritualité qui fera l'objet d'un autre article.
Jacques Laffitte
(Psychologue de la Vie sociale et du travail / Analyste des religions)
Livres de l'auteur aux Editions L'Arbre aux Signes : « Mais...Comment peut-on être fanatique ? »/ « Caïn, l'énigme du premier criminel » / « Les 3 Tours de Bab'El » / « Jonas, le pardon, mode d'emploi ».
Opuscules sur les mythes antiques : « Pandora, la femme une calamité ? » / « Gorgone Méduse, la fascination du délire » / « Dukkha, l'autre signification », « Le sacrifice de Isaac », « Le Péché de Gomorrhe ou la tentation intégriste », « L'échelle de Jacob ou Comment l'esprit vint à l'homme ». Version papier ou numérique. Site : www.arbreauxsignes.com
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