Le juge Burgaud à nouveau entendu le 2 février : ses avocats en colère
Rappel résumé des faits :
Il y a maintenant quelques années, début de l’année 2000, des enfants, habitant la Tour du Renard, une barre d’HLM, dans un quartier très défavorisé de Boulogne-sur-Mer, sont placés dans des familles d’accueil à la demande de leur mère, Mme BADAOUI . Les enfants commencent de se plaindre à leurs familles d’accueil d’être violés par leurs parents, et les nombreux voisins et amis de ces derniers ; ils expliquent qu’ils sont photographiés et filmés au cours de débauches sexuelles, et qu’ils voient des billets de banque passer de main en main. Les enfants sont très petits ; de plus ils expliquent qu’ils ont très peur de parler, et craignent les représailles. Bref, ils s’expriment très difficilement.
Le procureur de Boulogne-sur-Mer, informé par les services sociaux, eux-mêmes informés par les familles nourricières ordonne une enquête policière qui démarre fin de l’année 2000. L’enquête s’avère d’ores et déjà très difficile puisque, suite au placement des enfants dans les familles d’accueil quelques mois auparavant, les violeurs ont eu largement le temps pour certains de quitter la région, et pour d’autres de faire disparaître toute trace matérielle de leurs forfaits. Il y a un, ou deux policiers pour mener l’enquête, nullement formés à une tâche si complexe, et disposant de peu de moyens. Ils interrogent les enfants dans un commissariat... On présente aux enfants des photos des habitants de l’immeuble ; certaines photos sont totalement jaunies ou effacées, ou représentent des voisins mais une vingtaine d’années auparavant. Les enfants se troublent, ne savent plus très bien, confondent les visages, les noms. Mis à part quelques personnes dont ils sont sûrs, leur jeune mémoire se brouille.
Puis après un mois d’auditions, le procureur décide de saisir le juge d’instruction, en février 2001, qui met en examen les premières personnes dénoncées par les enfants. Le juge d’instruction saisit le juge de la détention et lui demande de prononcer la détention provisoire de ces personnes. Le juge de la détention, qui est un autre juge, et qui a toute liberté pour ne pas incarcérer ces personnes, ordonne néanmoins leur détention, encouragé en cela par le procureur de la république, qui a pris des réquisitions en ce sens, et qui a lui aussi toute liberté de ne pas le faire. Aucune demande d’annulation de ces mises en examen n’est demandée par les conseils des prévenus auprès de la Chambre de l’Instruction, comme la loi leur en laisse la possibilité. Lorsque le prévenu estime qu’il n’y a pas de charges sérieuses contre lui, il demande à la Chambre de l’instruction d’annuler sa mise en examen.
Une perquisition est ordonnée, qui évidemment compte tenu du temps écoulé ne donne rien. Pas de photos, pas de films. Un policier par la suite dira : « le ménage a eu le temps d’être fait ! ». Une deuxième série d’arrestations a lieu quelques mois après la première, en novembre 2001. Aucune demande d’annulation des mis en examen n’est semble-t-il davantage effectuée auprès de la chambre de l’instruction. Pourquoi ? On ne sait pas. Pendant tout ce temps les enfants continuent d’être entendus sur commission rogatoire. Les demandes de mise en liberté et les appels de certains prévenus commencent à se multiplier. Le juge diligente des expertises psychologiques ; les experts lui disent que les enfants ne mentent pas et sont crédibles. Les deux juges de la détention, le procureur, la chambre de l’instruction, les avocats généraux refusent la plupart des demandes de mise en liberté. L’un des prévenus écrit à France 3 et prétend que, outre les viols, il a assisté à un meurtre d’enfant commis par l’un des principaux prévenus, et que l’enfant a été enterré dans un jardin. Les jardins ouvriers entourant la Tour Renard sont fouillés en présence de toutes les caméras de France et de Navarre.
La presse se déchaîne et les prévenus sont traités de monstres. Les juges dans leur ensemble se crispent sur les refus de mise en liberté. En août 2002, le juge BURGAUD quitte le tribunal de Boulogne, bénéficiant d’une promotion à Paris. Son successeur renvoie l’affaire devant la Cour d’Assises de Saint Omer. En mai 2004 a lieu l’audience devant la Cour d’Assises de Saint-Omer ; certains prévenus ont été libérés dans l’intervalle par la Chambre de l’Instruction, mais la plupart sont encore détenus. La Cour d’assises de Saint-Omer rend une décision qui ne sera jamais attaquée, qui dit les 17 enfants bien fondés dans leur constitution de partie civile, et donc reconnus dans leur statut de victimes ; elle acquitte la moitié des prévenus. La presse est déchaînée. Les anciens « monstres » sont devenus les « victimes », de l’erreur judiciaire, l’ancien héros de l’instruction, promu à Paris, le « monstre », le fourbe, le traître etc. Les non acquittés font appel. Ils seront tous acquittés en 2005 par la Cour d’Assises de Paris. Le président CHIRAC dit que l’Etat doit payer au prix fort ces détentions provisoires abusives. Fin 2005, l’Assemblée Nationale décide de créer une commission parlementaire, afin d’entendre le juge et les personnalités du monde judiciaire. Il en ressort à l’époque que la responsabilité des détentions n’incombe pas à un seul homme, mais que les responsabilités sont multiples et en cascade.
La question est articulée autour de 2 pôles :
Comment continuer à agir en faveur des enfants victimes de sévices et maltraitances, but tout à la fois légitime et impératif dans une société démocratique avancée, riche, et qui n’ aurait aucune excuse à ne pas le faire, mais aussi comment le faire , tout en respectant la présomption d’innocence, but tout aussi légitime et impératif que le précédent ? La commission suggérait plusieurs pistes : créer des pôles de l’instruction, notamment, sortes d’équipes de magistrats instructeurs pour éviter l’isolement du juge d’instruction. Recueillir la parole des enfants dans de meilleures conditions, et notamment par des professionnels dans des cadres adaptés. Franchement, ce n’était pas grand-chose, et la commission semblait accoucher d’une souris. Car là où il eut fallu une refonte générale de notre système judiciaire, passant par un investissement financier considérable, et un bouleversement total des textes de loi, seules étaient préconisées quelques mesures un peu vagues, qui tenaient davantage du rafistolage que de la révolution judiciaire. Mais au moins, y avait-il un consensus sur le fait que les responsabilités étaient partagées.
Même si le jeune juge avait commis quelques erreurs d’appréciation, et était en première ligne, il n’empêche que les signaux d’alarme n’avaient pas fonctionné, et il répugnait à beaucoup, y compris les avocats de la défense de faire peser sur les épaules d‘un seul homme l’entier poids du dysfonctionnement général constaté. C’est-à-dire que les magistrats qui entouraient le juge et qui étaient nombreux, juges de la détention, procureurs, substituts, magistrats de la chambre de l’instruction, avocats et substituts du parquet général, et qui avaient accès au dossier, au même titre que le juge, n’avaient rien trouvé à redire à cette instruction. Les experts avaient, par leurs rapports indiquant que les enfants étaient crédibles, contribué à conforter les juges dans leur position. Les avocats, se plaignaient certains magistrats de la Chambre de l’instruction, qui n’avaient pas déposé de demande d’annulation des mises en examen des prévenus, ni davantage déposé auprès de la Chambre de l’instruction de demande de dessaisissement du juge, ou des requêtes en suspicion légitime portaient également leur part de responsabilités. La presse également qui, par ses « unes » sanglantes avait poussé les juges à la faute en exerçant sur eux des pressions, dont ils se plaignaient amèrement, peu propices à la sérénité des débats, avait elle-même participé au dérapage ; elle l’admettait d’ailleurs fort bien au cours des auditions. Au moins y avait-il la volonté de ne pas transformer le jeune juge en bouc émissaire, et les poursuites en chasses à courre.
Or qu’apprend-on aujourd’hui ? Quoi ? Que toutes ces belles résolutions sont jetées à bas ? Figurez vous que le juge est le seul responsable, dit le rapport déposé par la direction des services judiciaires au CSM qui jugera à partie du 2 févier le juge BURGAUD. Circulez, il n’y a rien à voir. Les autres juges ont été abusés par ce petit débutant. Drôlement malin finalement ! D’ailleurs, c’est tellement vrai que certains de ces juges, qui entouraient le juge BURGAUD sont aujourd’hui à la Cour de Cassation, la plus haute juridiction du pays ; on l’appelle la « juridiction suprême », c’est dire ! Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Il semble bien qu’on veuille isoler le juge, le couper de l’environnement judiciaire qui était le sien, pour lui faire porter en exclusivité les poids des défaillances. Personne ne serait responsable selon ce rapport, si ce n’est le juge qui a trompé tout le monde. C’est commode et ça peut rapporter gros d’ailleurs. Car, si le seul juge d’instruction est coupable, il n’y a pas lieu à faire une réforme forcément très coûteuse. Il suffit de le sanctionner, durement, l’Opinion est avec nous. Dans ces circonstances, Outreau n’est plus qu’un accident judiciaire. Regrettable, certes. Mais à ranger au même rang que les catastrophes naturelles. Il y a un accident judiciaire une fois tous les dix ans à peu près.
A chaque fois, on tombe à bras raccourcis sur le juge. On crée une ou deux commissions. On jure : « plus jamais cela ». On réforme un petit peu, pas trop, à la marge ; cela calme l’Opinion, qui peu à peu oublie, et on s’endort en gros, une dizaine d’années. Cette fois, cela tombe bien ; le chef de l’Etat vient d’évoquer il y a quelques jours la suppression du juge d’instruction ? Coïncidence ? En tout cas, notez que cela tombe bien. Pour s’éviter le coût d’une réforme, il suffit de révoquer le juge, et prenant à partie l’Opinion, supprimer dans le foulée la fonction même du juge d’instruction. Nos électeurs auront le sentiment d’une action juste, et économique pour nous. Mais le problème qui reste préoccupant est le suivant : si on supprime le juge d’instruction, sans renforcer les droits des parties, et de leurs avocats, au cours du procès, qu’ils soient partie civile ou prévenus présumés innocents face à un parquet tout puissant, sans moyens pour faire avancer leurs droits, et faire entendre leurs voix, ne convient-il pas en ce cas de garder le juge d’instruction et renforcer les contrôles sur lui. En tout état de cause, si on se sert du juge BURGAUD pour faire avancer la thèse de la suppression de l’institution qu’est le juge d’instruction, qu’on permette aux avocats des différentes parties au procès de travailler à armes égales avec le parquet, car à défaut, on connaîtra de nouveaux Outreau.
Car il n’est pas exact de prétendre que tous les juges d’instruction sont totalement inaptes. Certes le poids du Parquet sur eux est énorme. Parquet dont il est inexact par ailleurs de dire qu’il est systématiquement du côté des victimes. Ceux qui sont obligés de déposer une plainte avec constitution de partie civile en savent quelque chose. Mais ceci est un autre débat. Pour ce qui nous préoccupe dans le cas de l’espèce, certains juges d’instruction résistent aux pressions du Parquet. J’en ai rencontré. J’ai même, puisqu’on évoque la Chambre de l’instruction de Douai, qui est la Cour d’appel des juges d’instruction de Boulogne-sur-Mer, celle-là même tant vilipendée dans l’affaire d’Outreau, obtenu quelque temps avant l’affaire d’Outreau, le dessaisissement d’un juge, puis d’un deuxième juge , puis de tous les juges de Boulogne-sur-Mer, et le renvoi de mon affaire devant une autre juridiction, celle de Lille plus précisément. Certes, ce n’est pas facile, et il en coûte beaucoup aux magistrats de désavouer leurs collègues, mais il est exagéré de dire que cela est impossible. Raison pour laquelle, si nous les avocats, n’obtenons pas de sérieuses garanties en cas de suppression du juge d’instruction, je préfère le garder. Car sinon, nous devrons nous battre à mains nues face au Ministère public, autant du côté des victimes que des prévenus, et sans pouvoirs renforcés des avocats des particuliers, face à l’Etat, nous perdrons. Pour le plus grand malheur du justiciable.
En conclusion, quand bien même le juge BURGAUD ne serait-il pas exempt de faute, force est de constater que c’est toute la chaîne judiciaire qui a dérapé. Tout le monde se souvient des images diffusées sur la chaîne régionale où l’on voyait le juge BURGAUD suivi comme son ombre par le procureur de la république de Boulogne-sur-Mer. Tous ceux qui ont travaillé le dossier ne peuvent que constater que la chambre de l’instruction s’est à de multiples reprises penchée sur le dossier en utilisant d’une manière effrayante la fonction copier coller des logiciels de traitement de texte.
Vouloir au final déclarer le juge BURGAUD seul et unique bouc émissaire du fiasco OUTREAU procède d’un corporatisme moyenâgeux.
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