Ce qui m’a déplu chez Eric Zemmour
Notre polémiste national a fini samedi dernier son contrat dans une émission qui lui a permis de faire connaitre ses idées et de prendre une part de la popularité jusque-ici réservée aux élites médiatiques tout en étant légèrement moins consensuel.
Incroyable personnage que cet Eric Zemmour ; avec lui, le public a découvert quelqu’un qui semblait cramponné à ses convictions qu’il défendait corps et âme et surtout qui dégageait une spontanéité et une sincérité comme on n’en retrouvait plus guère que chez un candidat de télé réalité en fin de course. N’était-ce pas attirant cet homme qui défendait de vraies idées et qui n’a jamais cherché à être complaisant ? On n’était pas forcément d’accord avec lui, il faut dire que peu de gens auraient pu avoir exactement les mêmes convictions : Défendre le modèle patriarcal de la famille, croire –comme Hobbes - que l’homme est mauvais de nature, admirer Napoléon et la République, défendre l’existence des races, reprocher aux politiques de se réclamer de la morale, défendre le protectionnisme économique, reprocher aussi bien à BHL qu’à Booba d’être communautaires, etc. La liste de ses positions (qui relèvent d’une certaine cohérence, il faut le reconnaitre) tranchées et pas vraiment fédératrices est bien longue. Et le plus surprenant dans le phénomène médiatique qui l’a entouré est que beaucoup l’ont suivi en dépit de leurs désaccords avec lui : Ainsi, on a eu l’UMP, parti qui ne cesse de dénoncer le protectionnisme, qui l’a reçu dans un débat et l’a acclamé, les catholiques de droite qui reprochent à la gauche et aux élites en place en général leur manque de morale qui se sont ralliés à celui qui reproche à cette même gauche d’être trop morale, les antisionistes qui admirent sa liberté de ton quand il reproche aux sionistes d’être communautaristes alors qu’il leur a adressé exactement le même reproche et ainsi de suite. Je pourrais continuer longtemps à évoquer de nombreuses sensibilités qui se sont retrouvées autour d’Eric Zemmour alors qu’il apparaissait paradoxalement comme l’individu médiatique le moins fédérateur qu’on ait pu faire. Il a cassé les lois existantes dans les médias : Il ne faut plus être le plus conciliant possible au risque de ne plus sembler sincère mais justement être sincère et tranchant pour rassembler. Certes il a eu des adversaires et des adversaires plutôt virulents à son égard mais quelle personnalité médiatique n’en n’a pas eu ?
Dans les premiers temps qui ont succédé à sa découverte, j’ai pris Eric Zemmour pour quelqu’un qui avait substitué la culture à la réflexion, qui était persuadé que sa consommation boulimique de bonnes lectures suffisait amplement comme légitimité dans le débat d’idées et qui n’avait donc pas fait l’effort d’une véritable réflexion au-delà de ses préjugés par fainéantise ou par confort intellectuel. Je l’ai considéré comme un sophiste, quelqu’un qui ne se souciait pas beaucoup de la vérité, de l’éthique ou de la justice mais qui n’avait d’autre but que d’imposer ses opinions sur la place publique avec l’objectif que chacun sait : La fusion d’une partie de l’UMP et du FN en un grand parti républicain de droite au sein duquel ses idées prospéreraient. Mais avec le temps, je lui ai trouvé une autre dimension, j’ai découvert la cohérence idéologique que pouvaient révéler ses positions, j’ai compris qu’une véritable pensée existait derrière ce curieux personnage, une pensée très contestable, certes mais une pensée entière et cohérente. La pensée réactionnaire existe en effet en France depuis très longtemps et est une composante incontournable du débat intellectuel. Et Eric Zemmour incarne très solidement la pensée réactionnaire : Napoléon avait déjà dit en son temps « Je n'apprécie pas les femmes qui se mêlent de politique » et son célèbre code civil instituait les inégalités entre les sexes et Joseph de Maistre, un des principaux penseurs réactionnaires, considérait les droits de l’homme comme contraires à l’ordre politique et social. On pourrait multiplier les rapprochements, le constat resterait le même : Eric Zemmour est l’un des héritiers contemporains les plus fidèles des réactionnaires en France. Je ne critiquerai pas ses positions, elles sont les facettes d’une pensée que je conteste et je pense que ça ne serait pas extrêmement intéressant, ses contradicteurs étant déjà nombreux et pertinents (la plupart, du moins). Je considère qu’il est parfaitement en droit de s’exprimer sur la place publique et médiatique et qu’il est même utile puisqu’il oblige les forces progressistes à modifier, affiner ou même revoir leurs positions au lieu de bénéficier d’un consensus assez dangereux pour un pays démocratique. Tout en étant en désaccord avec Zemmour, je le trouve néanmoins plus intéressant et enrichissant que des individus comme Caroline Fourest, Mohamed Sifaoui ou Bernard-Henri Lévy puisqu’il a la qualité d’être plutôt honnête.
Mais j’aurais deux reproches à lui adresser au-delà de nos divergences idéologiques. Le premier, c’est de s’être placé en héritier de la pensée réactionnaire, justement. En effet, le fardeau est lourd à porter et quand beaucoup s’enthousiasment devant sa liberté d’esprit, je me demande si justement il ne s’est pas rendu prisonnier d’un passé intellectuel trop dense et aliénant. Que l’on revendique des influences de tel ou tel penseur, c’est tout à fait normal et courant mais on n‘en demeure pas moins - à priori - libre penseur, autonome et critique alors qu’Eric Zemmour, lui, a tendance à déballer un catéchisme assez prévisible puisqu’il est tout simplement celui de la Réaction et au lieu de donner le sentiment que ses idées s’affinent, se développent avec le temps, il laisse penser que ses interventions ne sont qu’autant d’occasions de dévoiler de nouvelles facettes de la pensée réactionnaire. Là où ses admirateurs voient dans ses oppositions avec certaines personnalités politiques et médiatiques autant de preuves de son esprit critique, je le vois - dans la plupart des cas - simplement énoncer les divergences entre leurs idées et la pensée réactionnaire qu’il défend en essayant de mettre en évidence la supériorité de cette dernière. Et m’est avis que ce problème lui joue et lui jouera des tours. Le second reproche que j’aimerais lui adresser semblera bien léger à certains mais je l’énoncerai quand même : Je trouve son lexique particulièrement lassant. Qui a déjà entendu Eric Zemmour faire une phrase sans l’un de ses termes favoris comme Bien-pensance, Droit-de-l’hommisme, Pensée unique, Antiracisme, Politiquement correct, etc ? On a là un véritable lexique auquel le journaliste adore avoir recours et je pense que c’est à ses dépens. Même si ce vocabulaire est particulièrement en vogue dans les milieux populaires et chez l’extrême droite, je le trouve assez inconvenant dans la bouche de celui qui se pose en défenseur de la langue française (Celle-ci n’a-t-elle pas assez de termes pour exprimer plus subtilement et élégamment les idées qu’il fustige ?) et qui proclamait, il y a peu, « l’esthétique est une éthique » alors que toute phrase hantée par l’un de ces termes me semble tout de suite une atteinte à la beauté littéraire presque aussi dérangeante que le langage djeuns. Je pense enfin que ce lexique qu’il affectionne contribue aussi à faire en sorte qu’il soit caricaturé par ses détracteurs puisqu’ils peuvent prétendre que derrière ces termes qui ne sont pas des arguments, Zemmour cache son racisme, ses idées haineuses, etc.
Si Eric Zemmour voulait acquérir plus d’importance sur la scène intellectuelle de notre pays, je lui suggérerai donc - c’est mon avis, il peut être erroné - de faire preuve de plus d’esprit critique quant à ses propres thèses et de plus de finesse dans son vocabulaire quand il s’attaque à ce qu’il nomme « La Pensée unique. »
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