Le déni de la violence monothéiste à l’occasion de la polémique Onfray/Soler de cet été
L'actualité de septembre, avec les violences déchaînées par le film Mahomet diffusé sur la toile cherchant à ridiculiser Mahomet, et celle de juin/juillet, avec les réactions passionnelles déclenchées par l'article de Michel Onfray sur le dernier livre de Jean Soler Qui est Dieu, nous fournissent deux exemples - certes fort différents, le premier ayant débouché sur des violences physiques avec des blessés et des morts, alors que le second en est resté au stade de la désinformation dans les journaux et sur les blogs - de l'incapacité congénitale au monothéisme d'une réaction saine à la critique.
Nous ne nous intéresserons ici qu'aux articles Jean Claude Guillebaud qui en réponse à Onfray et Soler a publié coup sur coup deux textes : Dieu est-il guerrier ? dans La Vie du 12 juillet, et Des erreurs qui tuent dans le Nouvel Observateur du 26 juillet.
Plutôt que de répondre à la question de fond posée par Jean Soler et médiatisée par Michel Onfray qui est celle de la violence monothéiste, Jean-Claude Guillebaud (mais on pourrait citer aussi Didier Long, le rabbin Yeshaya Dalsace et quelques autres) préfère la désinformation et l'amalgame. Nous prendrons quelques exemples concrets tirés de ces deux articles.
Exemple de désinformation : nier par tous les moyens toute filiation entre christianisme et antisémitisme nazi
1. "Le stalinisme et l’hitlérisme ont en commun d’être des idéologies athées", affirme d'abord JCG dans de La Vie.
Si le communisme est officiellement athée, ce n'était pas le cas du nazisme. Hitler n'a jamais affiché ni professé l'"athéisme". Dans ses propres écrits y compris dans Mein Kampf, dans le Programme du NSPD de 1920, dans ses discours (cf. son Discours à la nation allemande du 1.2.1933), Hitler se déclarait chrétien et revendiquait le christianisme comme base de la morale allemande. Il alla jusqu'à être le parrain de la fille de Göring lors du baptême de celle-ci à l’église ! Il n'abjura jamais sa foi chrétienne. Il ne fut pas non plus excommunié, ni Mein Kampf mis à l'Index. Hitler a certes cherché à neutraliser le pouvoir des églises (mais comme de tous les contrepouvoirs), y compris en déportant des prêtres (mais pas plus que les allemands ordinaires). Son sentiment personnel pour le christianisme était sans doute ambivalent, mêlant haine contre ce rejeton du judaïsme et respect pour son ancienneté et pour l’antijudaïsme de toute l’histoire chrétienne. Mais ce n'était pas plus un athée militant qu'un chrétien exemplaire.
2. Le Vatican fut de ce point de vue plus perspicace que JCG : dans sa lutte prioritaire contre l'athéisme communiste, il considéra Hitler comme son meilleur allié.
Fin 1936 les évêques allemands adressèrent ainsi à leurs concitoyens une lettre énonçant : "Le chef suprême et chancelier Adolf Hitler a vu venir de loin l'entrée en ligne du bolchévisme, et il a mis sa réflexion et ses soins à organiser la défense de notre peuple allemand et de l'ensemble de l'Occident face à cet immense danger. Les évêques allemands considèrent comme leur devoir de soutenir par tous leurs moyens la plus haute autorité de l'état dans cette lutte décisive." Encore en 1943 le cardinal Bertram, président de la conférence des évêques allemands, déclarait en chaire jour de l'anniversaire d'Hitler : "Seul peut mesurer la profondeur de nos soucis celui qui pressent quelle calamité vivrait notre patrie sous la coupe du bolchévisme menaçant, et celui qui connaît la radicalité d'opposition entre le bolchévisme et la religion catholique".
3. JCG poursuit son essai de démonstration en arguant qu'Hitler avait eu pour plan "d'extirper le judéo-christianisme (sic) d'Allemagne".
JCG invoque comme source Hermann Rauschning. Or cet auteur, nazi de la première heure, est discrédité auprès de la plupart des historiens. L’Encyclopedia of the Third Reich affirme ainsi : « The research of the Swiss educator Wolfgang Hänel has made it clear that the 'Conversations' were mostly free inventions. » L'historien britannique Ian Kershaw, auteur d'une biographie d'Adolf Hitler qui fait autorité, écrit quant à lui : « I have on no single occasion cited Hermann Rauschning's 'Hitler Speaks', a work now regarded to have so little authenticity that it is best to disregard it altogether. » JCG place d'ailleurs dans la bouche de H. Rauschning des propos[1] tenus non pas par celui-ci, ni par Hitler, mais par Martin Bormann. Bormann était l'un des antichrétiens virulents de l'entourage d'Hitler. Mais Hitler ne donna jamais suite aux ardeurs antichrétiennes et néo-païennes des Bormann, Himmler, Rosenberg.
Hitler était avant tout un homme politique, animé par deux passions en miroir : la grandeur de l'Allemagne, la haine des Juifs, auxquelles viendront s'ajouter la haine des Slaves, des tsiganes, etc. Il s'appropria les théories raciales qui conféraient à ses obsessions une allure de rationalité, mais s'intéressait en revanche fort peu au religieux. Concernant le christianisme, conscient qu'il était de son implantation très majoritaire en Allemagne et en Europe, il n'a jamais mené une politique christiano-raciale. Il voulait certes purifier le christianisme de "l'imposture et la perversion juives", mais non pas éradiquer le christianisme pour le remplacer par une quelconque religion néo-païenne ou par un culte de la Raison.
L'affirmation qu'Hitler aurait eu comme plan d'éradiquer le christianisme ne repose sur aucun indice fiable[2] et est contraire au réalisme politique dont Hitler était capable dès qu'il ne s'agissait ni des Juifs ni des Slaves. On voit bien en revanche le but d'une telle allégation chez les auteurs chrétiens : nier toute filiation chrétienne à l'antisémitisme nazi, et accessoirement ne pas laisser au judaïsme le monopole du statut de victime (comme par exemple dans l'affaire du Carmel d'Auschwitz).
4. JCG qualifie ainsi d'absurde l'idée avancée par Onfray et Soler que "l'idéologie biblique" ait pu inspirer Hitler.
Les lecteurs de Mein Kampf ou du Programme officiel du NSDP de 1920 (qui stipulait par exemple que "le parti en tant que tel défend le point de vue d'un christianisme positif, sans se lier à une confession précise") se forgeront leur propre jugement sur l'affirmation d'Ondray et de Soler.
Mais ce que veulent nier JCG, nombre d'auteurs chrétiens et l'Eglise en général, c'est la filiation chrétienne de l'antisémitisme nazi. Pourtant l'antisémitisme européen, ce ne sont ni les nazis, ni un quelconque mouvement néo-païen, ni les théoriciens racialistes du XIXème siècle qui l'ont inventé, mais bien le christianisme, depuis Saint Cyrille qui expulsa les Juifs d'Alexandrie comme plus tard les rois très chrétiens expulsèrent les Juifs d'Espagne, de France et d'Angleterre, depuis Saint Ambroise qui encouragea la destruction des synagogues dans l'Empire Romain, depuis Pierre le Vénérable, fameux abbé de Cluny, qui dans son fameux Adversum Judaeorum se demandait si les Juifs avaient une âme, sans parler des versets ouvertement antisémites du Nouveau Testament, en particulier chez Saint Paul.
5. Toujours à l'appui de sa thèse, parlant de la vieille devise militaire allemande "Gott mit uns (Dieu est avec nous)", JCG commente : "une devise si peu hitlérienne que les SS en portaient une toute autre : "Mon honneur s'appelle fidélité".
JCG omet de rappeler que cette formule "Gott mit uns", qui remonte au très chrétien Saint Empire romain germanique, est bel est bien restée jusqu'à la mort d'Hitler la devise de la Wehrmacht, inscrite sur les ceinturons de ses soldats (ce qui ne les a pas empêchés d'exterminer les Polonais catholiques ou les Ukrainiens et les Russes orthodoxes). Si Hitler appela son régime le IIIème Reich, c'est en référence aux très chrétiens Ier et IIème Reich, ceux de Frédéric Barberousse et de Guillaume II.
6. JCG avance enfin, sans citer sa source :"Avant d'entrer dans la SS, le postulant devait abjurer sa foi chrétienne".
Ce que demandait la SS à ses nouvelles recrues, ce n'était pas d'abjurer leur foi chrétienne, mais de démontrer leur pureté raciale, c'est-à-dire l'absence d'ascendance juive. La SS ne faisait là que suivre le modèle des Jésuites, qui statutairement n'acceptaient dans leurs rangs que des candidats ayant pu prouver qu'ils n'avaient pas d'antécédents juifs, et ce de 1593 à … 1946[3] !
Premier amalgame : "toutes les religions seraient violentes"
- JCG affirme - comme la plupart des acteurs juifs et chrétiens de la polémique Onfray/Soler - que toutes les religions seraient violentes, et cite comme exemple les religions polythéistes.
Que tous les peuples aient été violents relève du truisme : la violence, la guerre, voire même les persécutions religieuses n'ont épargné aucun peuple, pas plus les polythéistes que les monothéistes ; tous les pouvoirs ont en effet cherché à faire disparaître les foyers de dissidence, religieux ou autres, susceptibles de menacer leur autorité.
Ces persécutions n'ont toutefois jamais, dans le monde non-monothéiste, atteint le systématisme, la durée et la violence de l'Inquisition ou des guerres de religion européennes.
Mais surtout, les pouvoirs non-monothéistes n'ont jamais cherché à imposer par la force leurs dieux aux peuples étrangers. Eradiquer les dieux des peuples vaincus, détruire leurs statues, leurs objets de culte, leurs rituels, est spécifique au monde monothéiste. Saint Martin de Tours et Saint François-Xavier en représentent les figures emblématiques dans le christianisme. Or l'anthropologie a mis en lumière le fait que les religions indigènes fondaient l'identité et le ciment culturel de ces sociétés, de sorte que "l'extirpation de l'idolâtrie", selon l'expression catholique, relevait de l'ethnocide. N'en déplaise à nos auteurs chrétiens, une telle pratique n'a existé chez aucun peuple polythéiste, ni sous Alexandre, ni sous Cyrus, ni à Rome, ni en Inde.
- JCG, Didier Long, les hommes d'église ou de synagogues mettent en avant la violence des Grecs de l'Antiquité.
Athènes, Rome étaient des civilisations guerrières, mais non pas prosélytes : elles n'ont jamais cherché à imposer leurs dieux.
En revanche les philosophes et historiens grecs ont toujours dénoncé la violence. En Inde Bouddha a dénoncé le système des castes hérité du védisme, condamnation reprise dans la Constitution de l'Inde moderne. On attend toujours que de grandes autorités occidentales dénoncent la violence monothéiste.
- Autre argument resservi par les pourfendeurs de Jean Soler : la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains !
En 70, en représailles d'une révolte contre l'occupation, l'armée romaine a effectivement rasé Jérusalem et son Temple (qui n'était pas seulement le sanctuaire mais aussi le centre du pouvoir politique hébreu). Si cette violence là devait être qualifiée de religieuse, il en irait alors de même du bombardement d'Hiroshima par les chrétiens américains, qui n'y ont en effet laissé subsister aucun temple zen ni shinto !
Deuxième amalgame : "toute violence dite religieuse ne serait en fait qu'une violence politique[4] ; il serait donc illusoire de rechercher une origine religieuse aux violences de l'histoire de la chrétienté (on pourrait ajouter :ou de l'islam)".
- La religion ne serait pas violente par elle-même, elle ne servirait que de prétexte à la violence humaine, dont les vraies causes seraient la politique ou les passions individuelles.
Non seulement une telle position minimise étrangement, venant des croyants, le rôle de la religion (quand il est négatif), mais surtout elle ne cherche qu'à esquiver la question de la violence religieuse et à lui chercher des coupables de substitution (comme ci-dessus le soi-disant athéisme nazi).
Chercher si une violence est d'origine religieuse ou non est pourtant tout aussi légitime que de chercher à distinguer en droit pénal les différentes sortes de crimes, passionnels, sexuels, vols, etc., ou que de rechercher lors des procès d'assise les mobiles du crime.
Avec l'ordre sacré de détruire les dieux d'autrui et d'imposer le seul vrai dieu, le monothéisme abrahamique a bel et bien inventé une nouvelle motivation de violence, inconnue du monde polythéiste. Rechercher si cet exclusivisme monothéiste a été facteur de violence serait donc parfaitement légitime. On ne peut que regretter qu'aucun historien n'ait engagé un tel travail.
- Le rappel des sommets de violence atteints par les totalitarismes du XXème siècle vise à montrer que la violence vient de l'athéisme, et non du monothéisme.
Indépendamment de la question évoquée ci-dessus du soi-disant athéisme nazi, Auschwitz et le Goulag devraient donner matière à méditation plutôt qu'être utilisés comme alibis. La réflexion ne devrait en particulier pas occulter que ces totalitarismes sont apparus dans des pays de tradition chrétienne et non pas en terre païenne, et qu'ils ont emprunté maints concepts du christianisme, en particulier l'unicité de la vérité, le parti unique, un avenir et un leader messianiques, le modèle de l'Inquisition.
Si l'on revient à l'actualité, accuser les Musulmans quand on est Catholique, Evangéliste, Mormon, ou Juif, accuser les Chrétiens et les Juifs quand on est Musulman, ne fait pourtant qu'alimenter l'escalade de la violence spécifique au monothéisme plutôt que d'en rechercher la racine commune aux trois religions concernées, à savoir le concept d'un dieu jaloux et son ordre de brûler les idoles, deux facteurs de violence qui ont traversé les siècles de Moïse jusqu'à nous, qui ont légitimé bien des actes de violence, et qui ferment le chemin de la tolérance, alors qu'ils sont de fait inconnus de toutes les autres religions.
Certes Jean-Claude Guillebaud n'a tué personne. Mais l'actualité nous montre, non pas qu'un film imbécile, mais que la défense des textes sacrés du dieu jaloux reste capable de tuer. Quand nos intellectuels croyants prendront-ils à cœur non pas de renforcer, mais de dénoncer le tabou de la violence spécifique au monothéisme ?
Jean-Pierre Castel
auteur de
"Pourquoi y a-t-il plus de violence religieuse dans le monde monothéiste que dans le monde non-monothéiste ?" (à paraître)
[1] Le coup le plus dur qui ait jamais frappé l'humanité fut l'avènement du christianisme. Le bolchevisme est un enfant illégitime du christianisme. Tous deux sont des inventions du Juif. Libres propos sur la guerre et la paix recueillis sur l’ordre de Martin Bormann, Adolf Hitler, éd. Flammarion, 1952, t. 1
[2] Cette thèse a certes été soutenue par certains auteurs, soit des nazis comme Martin Borman conseiller personnel d'Hitler, Baldur von Schirach chef des jeunesses hitlériennes, ou H. Rauschning, homme politique nazi jusqu'en 1935, qui finira par émigrer aux USA, soit des chrétiens comme John S Conway, chrétien engagé, ou Richard Bonney, prêtre, transcripteur et commentateur du Nazi Master Plan. Cette thèse sera reprise par de nombreux membres de l'Eglise. Aucun historien non engagé dans le nazisme ou dans le christianisme ne la défend.
[3] Cf. par exemple Multibiographie des Jésuites, Jean Lacouture, Seuil, 1995
[4] Le théologien américain William Cavanaugh y consacre tout un livre, intitulé Le mythe de la violence religieuse. L'auteur, qui conteste à juste titre l'essentialisme de la notion de "violence religieuse", omet simplement la spécificité de la violence monothéiste, qui réside dans sa motivation, inédite dans toutes les autres religions, de remplacer les dieux d'autrui par les siens propres.
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