Tout est cycle. Pourquoi ?
Tout est cycle en ce monde, dans tous les domaines, à toutes les échelles : pourquoi cela ?
Cette réflexion a commencé avec l’histoire d’un empereur chinois qui voulait rassembler tout le savoir de son temps et qui, à la fin de sa vie, a exigé qu’il soit « distillé » jusqu’à se réduire à un seul mot, que par la force des choses, il connaissait déjà mais que l’histoire ne dit pas. Quel était ce mot ? Après une enquête dans laquelle les lecteurs ont eu leur mot à dire, le candidat le plus plausible a semblé être le cycle ou ce que la psychologie populaire appelle encore l’habitude. Dans cette hypothèse, la question qui vient immédiatement à l’esprit est : pourquoi en serait-il ainsi ?
* * *
Tout en laissant la porte ouverte à la possibilité d’une réfutation tout de même assez peu probable, accordons-nous pour commencer sur le fait que… :
- Tout est cycle dans le monde physique
Des spirales galactiques aux spins électroniques, en passant par l’orbite des planètes ou des électrons, jusqu’aux ondes mécaniques, électromagnétiques ou gravitationnelles, la physique n’est qu’ondulations, vibrations, girations, etc., bref la physique n’est que cycles.
- Tout est cycle dans le vivant
Idem pour le vivant : des grands cycles écologiques aux minuscules cycles intracellulaires comme le cycle de Krebs, de la réplication des virus à la reproduction des baleines bleues, en passant par toutes les autres grandes fonctions vitales (respiration, alimentation, excrétion, déplacements, etc.), tout s’accomplit dans et par la répétition de processus rythmiques : ondulations, vibrations, palpitations, battements, pulsations, spasmes, saccades, péristaltisme, circulations, etc. Le vivant n’est que reproduction à tous les niveaux de son organisation : son organisation est invariablement cyclique.
- En somme, tout est cycle dans la nature
Il semblerait donc que, de l’inanimé à l’animé, rien n’échappe à cette loi du cycle de sorte que, pour être exacte, la fameuse parole d’Héraclite « tout coule » aurait dû être « tout circule ».
Avant d’essayer de comprendre quelles conséquences cela peut avoir au niveau psychologique, sous le rapport de l’habitude, demandons-nous pourquoi les choses sont-elles ainsi ? Pourquoi les cycles devraient-ils être omniprésents dans la nature ? Pourquoi la substance de ce monde devrait-elle être cyclique ?
Je ne suis pas sûr que la réponse dont je dispose soit complètement satisfaisante mais, au moins, peut-on avoir la certitude qu’elle est vraie puisqu’il s’agit d’une… tautologie, c’est-à-dire, une assertion vraie par définition puisqu’elle ne fait que redire la même chose, comme par exemple « avant de mourir, il était en vie » !
En principe, parce qu’elle n’est que répétition, une lapalissade ne nous apprend rien et c’est même à ça qu’on la reconnaît. Mais celle que je vais présenter ici fait exception. Il s’agit de la « survivance du plus apte », formulation bien connue du principe darwinien. La fécondité de ce dernier n’est plus à démontrer et perdurera quelle que soit les critiques légitimes et illégitimes que l’on peut opposer à la théorie de l’évolution.
Sa formulation comme « survivance du plus apte » est tautologique car l’organisme le « plus apte » n’est pas défini par ses caractéristiques propres mais par le simple fait de se reproduire davantage que ses concurrents, c’est-à-dire, par le fait d’avoir une meilleure … survivance ! L’expression « survivance du plus apte » désigne donc la survivance de celui qui survit mieux. C’est une tautologie.
Bien qu’a priori vide de sens, puisque tautologique, elle peut nous aider à comprendre l’omniprésence des cycles par le simple fait d’attirer l’attention sur la question de la stabilité.
En effet, ce qui se trouve au cœur du principe darwinien, c’est ce qu’on a pu appeler « la loi du stable » [1], c’est-à-dire, en somme, le fait que « ce qui dure plus longtemps dure effectivement plus longtemps que ce qui dure moins longtemps ».[2]
Pour en comprendre l’intérêt, on peut tenter de se figurer de manière abstraite la « soupe primitive » des éléments que l’on pense être à l’origine de la vie. Imaginons en son sein des cascades de processus physico-chimiques qui s’enchaînent et s’enchevêtrent indéfiniment en fonction d’une agitation moléculaire parfaitement aléatoire.
Les chaînes causales qui traversent et « animent » ce bouillon originel peuvent être de deux sortes seulement :
- soit elles sont ouvertes, ne se refermant jamais sur elles-mêmes,
- soit elles sont fermées, c’est-à-dire, qu’elles bouclent sur elles-mêmes et, par conséquent, elles se répètent, donc se maintiennent, donc se perpétuent grâce à ce qu’on peut bien appeler une capacité d’autoproduction.
Tout ce qu’il importe de comprendre ici c’est que les chaînes de processus fermées organisent « structurellement » (sic) leur reproduction alors que les chaînes causales ouvertes sont, seulement transitoires, éphémères, condamnées à n’être que dans l’instant et ne se voient reproduites que par hasard, de loin en loin.
Bref, les chaînes de processus qui sont cycliques durent plus longtemps (puisqu’elles se répètent) que les enchaînements aléatoires (qui ne se répètent pas) !
Nous sommes ici encore à flirter avec la tautologie mais sa plongée dans la soupe primitive a fait apparaître un écart par lequel ont été introduites les notions d’organisation et de reproduction. Aussi banales qu’elles puissent paraître au premier abord, elles changent radicalement la signification de l’ensemble.
En effet, avec les chaînes de processus circulaires apparaît ce que l’on peut appeler une organisation qui s’oppose à l’inorganisé chaotique et informe de la soupe de processus aléatoires dont elle « émerge ».
Cette causalité circulaire est « quelque chose » qui, en se répétant, en se maintenant et donc en se perpétuant, accède à l’existence au sens étymologique de « se tenir hors de » [3] l’inorganisé exactement comme des cellules de convection se forment dans une casserole d’eau chaude sur le feu.
Nous découvrons alors ce que nous avons toujours su, serait-ce confusément, à savoir le fait qu’être, c’est être organisé, c’est être une organisation.
Car rien de ce qui ex-siste (et se présente donc comme figure distincte, hors du fond inorganisé) n’est sans stabilité, sans continuité, sans cette organisation cyclique qui lui permet de s’entretenir, de se maintenir, donc de se perpétuer en bouclant sur soi-même.
L’expérience de pensée à laquelle nous venons de procéder explique le passage de l’inorganisé (de niveau n) à l’organisé (de niveau n+1). Cette logique de l’émergence étant indépendante d’un niveau d’organisation particulier, elle vaut pour tous les niveaux, de la physique au politique.
Nous sommes donc en mesure de conclure que :
- tout ce qui existe est une organisation
- toute organisation est cycle
- donc tout ce qui existe est cycle
- autrement dit, tout est cycle.
CQFD
Addendum : de la reproduction proprement dite...
Il va sans dire que la population des processus cycliques — qui en vient nécessairement à dominer la « soupe primitive » ou le chaos originel — se trouve soumise à la même logique darwinienne. Parmi ces cycles certains se reproduiront mieux que d’autres. [4] Notamment, ceux qui feront système en se favorisant mutuellement. De sorte que l’adaptation ne cessera d’aller de l’avant et engendrera tôt ou tard des « systèmes », ou plutôt des « écosystèmes » de cycles capables de se dupliquer, de se donner une descendance (reproduction) et donc d’évoluer (reproduction différentielle). Ce qui constitue un avantage adaptatif gigantesque par rapport à ceux qui sont seulement capables de se maintenir individuellement par la re-production de leurs composants (autoproduction ou autopoïèse). La sélection naturelle de ces « écosystèmes » de cycles favorisera tôt ou tard ceux disposant d’une enveloppe membranaire car cela leur confère une plus grande stabilité, donc une meilleure survie. Nous y reconnaîtrons une structure cellulaire et nous appellerons cela la vie. Tout cela est encore mal connu dans les détails concrets. Il est inutile de s’y attarder, l’important est d’avoir touché du doigt le fait qu’une simple tautologie — qui, au sens étymologique [5], signifie déjà répétition, donc reproduction, donc cycle — nous permet d’expliquer pourquoi le circulaire, le cyclique ne peut pas ne pas prévaloir sur le linéaire ou l’aléatoire.
[1] Richard Dawkins appelait le principe darwinien « la loi du stable ».
[2] Citation de Gregory Bateson dans Mind and Nature, p.45
[3] ex = hors, sistence = se tenir
[4] C’est pourquoi « reproduction différentielle » constitue la formulation la plus claire du principe darwinien.
[5] « Tauto » = « même que »
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