Vers un rafraichissement ? Par Vincent Courtillot
Vincent Courtillot est géophysicien et ancien directeur(1) de l’Institut de Physique du Globe de Paris. Je le remercie de m’autoriser à diffuser sur internet la version intégrale et très documentée de sa libre opinion « Vers un rafraîchissement ? » publiée en format raccourci dans Le Figaro (en ligne et papier) du 8 février dernier. Dans cette tribune, Vincent Courtillot réclame le droit au débat et cite nommément les académiciens et scientifiques de grande qualité qui soutiennent sa thèse qu’il reconnaît encore minoritaire aujourd’hui. Il développe également des arguments scientifiques fondés sur les résultats de ses dernières recherches sur les cycles solaires.
"Quel hiver ! Ce serait pour la France et pour une bonne partie de l’Europe occidentale, peut-être aussi pour l’Amérique du Nord, l’hiver le plus froid depuis quatre décennies. De plus, trois hivers très rigoureux viennent de se suivre, notamment dans les îles britanniques. Est-ce là la preuve que le réchauffement climatique a cessé ? La réponse à cette question est loin d’être évidente ! Pourquoi ? Parce que le climat est défini comme la tendance d’une variable météorologique (comme la température) sur une trentaine d’années et n’a a priori rien à voir avec un extrême saisonnier, fut-il planétaire. On ne peut parler d’évolution climatique sur des durées de seulement quelques années, encore moins à l’échelle d’une saison (ce qui n’empêche pas certains journalistes de la météo d’attribuer tout et n’importe quoi au réchauffement climatique, y compris la période froide actuelle !). Il est vrai que si ces extrêmes froids se répétaient suffisamment souvent, il pourrait en être autrement…
Parmi les graphiques que l’on montre en général pour illustrer le réchauffement climatique, l’un des plus fréquents est celui de la température moyenne (de la basse atmosphère) du globe depuis 1850. Passons pour l’instant sur le fait que seuls les climats régionaux sont bien définis et que la notion de climat global et surtout de température globale n’a peut-être pas de sens(2). Passons sur le fait que les variations que l’on cherche à isoler sont minuscules par rapport aux variations dont chacun fait l’expérience entre le jour et la nuit, l’été et l’hiver, le pôle et l’équateur… En effet, les tendances climatiques que l’on cherche à faire apparaître se chiffrent en dixièmes de degrés, une quantité qu’un individu n’est pas capable de sentir. Quelques dixièmes de degrés face à des dizaines : l’effet est cent fois plus petit que les variations auxquelles nous sommes sans cesse soumis dans notre vie.
Regardons donc cette courbe, ainsi que la fournit par exemple l’un des principaux centres mondiaux de données, le Meteorological Office britannique : on y voit bien que les quelques dernières décennies sont plus chaudes que les premières il y a 150 ans. Il y a un réchauffement moyen, de l’ordre de 0,7°C, entre 1850 et 2000. Ce qui ne nous dit pas quelle en est la cause principale.
Donnons une description un peu plus détaillée de cette courbe, reconnaissons-le très bruitée (agitée) : on y voit un refroidissement de 1870 à 1910, un réchauffement de 1910 à 1940, un léger refroidissement de 1940 à 1970, un réchauffement de 1970 à 2000 et un léger refroidissement depuis une dizaine d’années (mais encore une fois soyons prudents, ce n’est qu’une dizaine d’années, certes mieux qu’une ou trois, mais moins que les 30 ans « canoniques »). Le réchauffement de 1970 à 2000, qui n’est autre que le fameux réchauffement global dont tout le monde parle et qui fait si peur à certains, est en fait assez voisin en valeur et en rapidité de celui qui avait prévalu de 1910 à 1940. Par trois fois l’évolution des températures globales depuis 1850 a été interrompue par une légère baisse, de 1870 à 1910, de 1940 à 1970 et maintenant depuis dix ans, douze ans si on prend la courbe au pied de la lettre, le maximum ayant été atteint en 1998, une année à « El Nino ». Pour d’autres centres de données, les valeurs moyennes de 1998 et de quelques-unes des années de la première décennie du XXIe siècle seraient voisines et l’on devrait parler d’un plateau plutôt que d’une décroissance. En tout état de cause, une nette rupture avec la tendance des trois décennies précédentes.
Pour la majorité des scientifiques qui contribuent aux rapports du GIEC, la tendance générale au réchauffement serait due à l’augmentation dans l’atmosphère de la teneur en gaz carbonique (et autres gaz à effet de serre rejetés par l’Homme). Pour d’autres, actuellement minoritaires, mais semble-t-il de plus en plus nombreux et dont je fais partie, ce réchauffement pourrait n’être que la sortie d’un cycle de mille ans piloté par l’activité du Soleil(3). On a en effet beaucoup d’indications que les températures (au moins dans l’hémisphère nord, beaucoup mieux documenté) étaient pratiquement aussi chaudes vers l’an 1000 qu’actuellement. Ceci nous(4) a conduits à formuler l’hypothèse que le Soleil serait un élément beaucoup plus important qu’on ne croit le comprendre aujourd’hui dans l’évolution du climat, le gaz carbonique n’étant alors que secondaire. Ce qui va incontestablement à l’encontre des modèles théoriques et numériques de l’effet de serre, qui servent d’explication principale depuis plusieurs décennies, et donc pose problème.
Depuis un peu plus de cinq ans, nous cherchons des preuves ou au moins des indications (qui n’auraient pas été reconnues au préalable) de l’influence du Soleil sur le climat. Nous pensons en avoir trouvé un nombre significatif : elles ont fait l’objet d’une dizaine de publications dans les revues scientifiques internationales. Nous ne sommes d’ailleurs pas seuls. Nous découvrons au fur et à mesure de notre exploration de ce domaine qu’un nombre significatif de scientifiques étrangers de renom remet en cause le degré de confiance qu’on peut apporter aux conclusions du GIEC : on peut citer Lindzen, Svensmark, Singer, Tinsley, de Jager, Shaviv, Wunsch, … Lors du débat à l’académie, et sur certains points importants au moins, Morel, Pomeau, Aubouin, Férey, Fontecave, Frisch, Amatore, Moreau ont émis des doutes ou des interrogations. De nombreux géologues et géographes, plus nombreux certes que les climatologues et sans doute pas par hasard, émettent également des doutes… Il est en tout cas faux de dire, comme le fait Al Gore dans son film, que personne de sérieux ne pense autrement que le GIEC.
Ainsi, nous pensons avoir mis en évidence des signatures solaires aussi bien dans les températures moyennes et que dans leur variabilité, en Europe, en Amérique du Nord et de l’Ouest, et notamment dans les observatoires européens qui disposent des plus longues séries de données. La signature solaire est aussi présente dans la longueur du jour ou ce qui revient au même la vitesse de rotation de la Terre (figure ci-dessous), ce qui implique l’ensemble du système des vents, ainsi que dans certaines oscillations climatiques qui impliquent atmosphère et océan, comme l’oscillation dite de Madden-Julian,… Si certains de ces travaux ont été critiqués par écrit, ce qui est une procédure absolument normale, on omet souvent de signaler (et cela est moins normal) que nous y avons répondu point par point(5). Nous considérons quant à nous que nos résultats tiennent toujours, même si nos contradicteurs n’en sont pas d’accord. Ainsi vont les débats scientifiques sans lesquels la science n’a pas de sens.
Reste à trouver le mécanisme. On nous oppose le fait que l’énergie totale que nous envoie le Soleil (« l’irradiance solaire totale ») ne varie au cours du temps que d’une partie pour mille seulement et que cela ne suffit pas à expliquer nos observations. D’autres groupes de chercheurs que le nôtre ont proposé des hypothèses très intéressantes et plausibles, même si elles ne sont pas encore démontrées. C’est ainsi que H. Svensmark évoque le rôle des rayons cosmiques, dont le flux de particules chargées électriquement, variable au gré de l’activité solaire, pourrait affecter la couverture nuageuse et ainsi modifier l’énergie réfléchie vers l’espace, donc le bilan énergétique de l’atmosphère dans son ensemble. Un autre chercheur, B. Tinsley, propose que les variations des courants électriques dans l’ionosphère et la magnétosphère et du champ électrique entre la très haute atmosphère et la surface terrestre (dont on sait qu’elles se chiffrent en dizaines de pour cent et non en « pour mille ») modifient l’état électrique des nuages et partant leur couverture, jouant là encore un rôle important sur le bilan énergétique de l’atmosphère. Certaines de ces idées sont en cours de test au CERN.
On a beaucoup entendu dire que le récent débat à l’académie des sciences et surtout le rapport remis ensuite à la ministre semblaient donner raison « définitivement » à la vision du GIEC. Plusieurs journalistes (mais pas tous heureusement) et deux ministres l’ont apparemment compris ainsi. Ils ont malheureusement dû le lire un peu trop rapidement, et ce n’est certainement pas ce qui ressortait de la journée de débat. Que dit donc le rapport ?
Tout d’abord, dès sa première page, il note que le débat a été « très riche et de haute tenue scientifique ». Cela vaut pour les divers points de vue et reconnaît la qualité du débat instauré par les « climatosceptiques ». C’est un grand pas en avant et va bien au-delà des rapports plus frileux d’autres académies étrangères. Le rapport parle de « la forte modulation sur des périodes annuelles et multidécennales » de la température, avec « deux périodes de plus forte augmentation (approximativement de 1910 à 1940 et de 1975 à 2000) encadrées par des périodes de stagnation ou de décroissance ». Nous ne disons pas autre chose, si ce n’est que, contrairement au rapport, nous n’oublions pas de signaler que la température a à nouveau tendance à stagner ou même à décroître depuis une décennie… Le rapport reconnaît que « tous les mécanismes de transmission et d’amplification du forçage solaire, et en particulier de l’activité solaire, ne sont pas encore bien compris », que « si le cycle de 11 ans de l’activité du soleil tendait à diminuer d’intensité, comme cela a été le cas dans le passé, un ralentissement graduel du réchauffement global pourrait se produire ». N’est-ce pas bel et bien ce qui se passe depuis une décennie ?
Un long paragraphe de la partie sur les mécanismes climatiques qu’on ne peut citer in extenso ici reconnaît que « les effets potentiels de l’activité du cycle solaire sur le climat sont l’objet de controverses, mais donnent lieu à des recherches actives » ; ceci concerne notamment les hypothèses de Svensmark et Tinsley rappelées plus haut. Dans la partie sur les modèles climatiques, un autre long paragraphe est consacré aux nuages « partie unanimement reconnue comme la partie la plus incertaine », avec notamment les travaux de R. Lindzen qui invoquent une rétroaction négative et conduisent à des conclusions à l’opposé de celles du GIEC. Le débat est ouvert. Cette partie s’achève en soulignant l’existence de « mécanismes non encore identifiés qui ne sont naturellement pas inclus dans les modèles », le débat sur les corrélations observées (dont les nôtres) et enfin, comme l’a indiqué fortement au cours du débat ce spécialiste incontesté de la théorie du chaos qu’est Y. Pomeau, « les éventuels comportements fortement instables ou chaotiques du système sont un autre facteur important d’incertitude ». Ce dernier pense qu’« il n’y a pour le moment aucune évidence de ce que les fluctuations récentes du climat soient causées par autre chose que le comportement chaotique du système(6) ».
Comment me direz-vous certains journalistes, voire ministres, ont-il pu tirer du rapport des affirmations définitives sur le fait que le GIEC avait raison ? Eh bien tout simplement parce qu’elles y sont. Le rapport est en fait la juxtaposition des points de vue contradictoires exposés au cours du débat, sans véritable synthèse ni conclusion.
Ceci semble avoir échappé à des lecteurs trop pressés. Mais cela n’a pas échappé à Luc Ferry qui, dans une chronique du 10 novembre dernier au Figaro, rappelle qu’il n’est nullement certain que le réchauffement soit dû à l’augmentation des gaz à effet de serre, que la planète fut au moins aussi chaude qu’aujourd’hui durant une longue période située au Moyen-Age et que depuis 1998 il n’y a plus aucun réchauffement climatique. Citant un ouvrage récent de Jean Staune(7), Luc Ferry souligne que Jean Jouzel ne nie nullement la réalité de ce plateau et avoue que s’il devait durer encore dix ans « c’est Courtillot et les climatosceptiques qui auraient raison ».
Il est intéressant de constater que ceux qui ont, à mes yeux, la vision la plus lucide et la plus raisonnable du fond de ce débat sont désormais des spécialistes des sciences humaines et sociales : géographie, sociologie, histoire des sciences, philosophie. Je n’ai pas la place de reprendre ici une analyse que j’ai entamée ailleurs(8) et que j’ai retrouvée dans plusieurs livres, analyse qui souligne les aspects dogmatiques et quasi religieux de la tournure prise par ce débat, qui échappe largement à la rationalité et aux scientifiques. On en trouvera des éléments par exemple dans les livres de S. Galam, V. Anger, B. Rittaud, J. Staune et dans des articles de H. Atlan et P.H. Tavoillot (« la nouvelle idéologie de la peur »). En réponse à l’envoi que je lui faisais de l’article de Luc Ferry, Alain Carpentier, l’un des principaux rédacteurs du rapport de l’Académie et son président depuis ce premier janvier 2011, m’écrivait : « Cher Ami, Merci pour la Tribune de Luc Ferry.
L’argumentation est claire, solide, convaincante(9). » Seule l’observation de la « vraie » nature et non pas des projections informatiques, douteuses au vu des incertitudes restantes tant dans les observations que dans les modèles physiques et numériques, permettra de trancher (ou de trouver une autre cause qui ne serait ni le Soleil ni les gaz à effet de serre…). Des physiciens du Soleil éminents, comme K. de Jager, pensent que le Soleil passe de manière irrégulière par trois états que j’appellerai fort, moyen et faible. Nous venons de passer de l’état fort, qui avait prévalu pendant trois décennies, à l’état moyen. De Jager pense que nous pourrions tomber dans l’état faible vers 2060. Le dernier état faible a correspondu au fameux minimum de Maunder des taches solaires et au coeur du Petit Âge Glaciaire. On verra bien, mais en attendant suggérer un léger refroidissement pour les quelques décennies qui viennent n’est décidément pas déraisonnable.".
Vincent Courtillot
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A propos de Vincent Courtillot, lire aussi :
Rencontre avec un géoscientifique et citoyen engagé : Vincent Courtillot (par Véronique Anger. 29/09/2010).
(1) Claude Jaupart, professeur à l’université Paris-Diderot, succède à Vincent Courtillot qui dirigeait l’IPGP depuis 2004.
(2) Ce point de vue est défendu par certains thermodynamiciens qui font remarquer que la somme de deux températures n’est pas une température, au contraire de la somme de deux volumes qui est bien un volume : c’est la différence subtile entre grandeurs intensives et extensives que l’on apprend au début d’un cours de thermodynamique.
(3) On notera l’absence de corrélation entre les phases de croissance et de décroissance de la température et l’évolution monotone des gaz à effet de serre.
(4) Notre équipe, animée par Jean-Louis le Mouël, comprend aussi Elena Blanter, Vladimir Kossobokov et Mikhail Shnirman, chercheurs de l’International Iinstitute of Earthquake Prediction Theory and Mathematical Geophysics de Moscou invités régulièrement à l’Institut de Physique du Globe.
(5) Nos réponses aux deux séries de critiques principales sont accessibles sur :
http://www.clim-past-discuss.net/6/C342/2010/cpd-6-C342-2010-supplement.pdf
http://www.clim-past-discuss.net/6/C345/2010/cpd-6-C345-2010-supplement.pdf
(6) Communication écrite à l’auteur.
(7) La Science en otage. Jean Staune. Presses de la Renaissance, 2010.
(8) Nouveau Voyage au Centre de la Terre. Vincent Courtillot. Odile Jacob, 2009.
(9) Communication écrite à l’auteur.
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