Proposer une mutation à ses salariés en inde avec un salaire de 69 euros
Vous avez très certainement entendu parler de cette affaire qui a choqué tout le monde, un employeur propose à ses salariés une mutation en inde avec un salaire de 69 euros avant de procéder à leur licenciement pour motif économique.
Cette proposition que je qualifie de « surréaliste » dans la mesure ou elle ne peut pas être acceptée par les intéressés tant elle risque de les paupériser n’en est pas moins, en l’état actuel des textes de lois et de la position des tribunaux, légale.
Afin d’éviter ces dérives il serait urgent de revoir le code du travail sur ce point
nos députés ou le gouvernement devraient se saisir de cette affaire pour élaborer et mettre au vote une nouvelle rédaction des textes...

Avant de procéder aux licenciements la direction de l’entreprise a proposé aux salariés concernés un reclassement.
Ce reclassement a lieu dans une usine du groupe en inde.
Le salaire fixé est de 69 euros bruts par mois pour six jours de travail ( auquel s’ajoute une assurance santé).
Cette proposition a soulevé indignation et colère parmi le personnel.
La direction de l’usine a répondu qu’elle ne faisait qu’appliquer la loi. "C’est la loi française qui nous oblige à faire par écrit une proposition de reclassement si on dispose d’autres sites, même si c’est en Papouasie ou au Bengladesh. Je suis conscient que c’est stupide, mais c’est la stupidité de la loi", a déclaré le PDG de Carreman, François Morel, dans un entretien au quotidien régional la Dépêche du Midi vendredi.
Le député de Castres, Philippe Folliot, a estimé de son côté qu’il fallait "faire modifier les textes" sur les reclassements. "A la notion d’emploi équivalent, il faut rajouter la notion de salaire équivalent", a-t-il dit, cité par le quotidien.
Ajustons maintenant nos lunettes de juriste
Examinons tout d’abord le cadre légal de la procédure
Cette proposition de reclassement s’inscrit dans le cadre d’un projet de licenciement collectif pour motif économique de moins de 10 salariés sur une période de 30 jours.
Dans le cadre de cette procédure , sauf dispositions conventionnelles plus favorables, l’employeur n’est pas obligé d’élaborer un plan de sauvegarde de l’emploi, anciennement plan social.
Le constat de carence est dépourvu par lui-même de tout effet juridique. Ce n’est pas une décision susceptible de recours.
c’est le juge judiciaire et seulement celui-ci qui peut annuler un plan s’appuyant le cas échéant sur le constat de carence .
lorsque le juge annule le plan , tout licenciement effectué devient nul avec toutes les conséquences ( réintégration des salariés, paiement des salaires ou si non reintégration versement de dommages et intérêts)
le nombre de salariés choisi par l’employeur n’est pas le fruit du hasard , car en se faisant l’employeur échappe à l’obligation d’élaborer un plan de sauvegarde .
Il reste néammoins obligé de proposer aux salariés un reclassement avant de procéder aux licenciements.
Quels sont les contours cette obligation de reclassement ?
Aux termes de l’article L1233-4 du Code du travail, "un licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient
Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises."
L’employeur doit rechercher un poste de travail pour tout salarié dont le licenciement économique est envisagé
En l’absence de recherche de reclassement, le licenciement sera considéré sans cause réelle et sérieuse même si le motif économique est avéré
La cour de cassation impose une recherche de postes dans l’entreprise et le groupe auquel elle appartient. Elle exige que les propositions soient étendues aux postes vacants à l’étranger.
En proposant des offres dans une entreprise de son groupe l’employeur a bien satisfait aux obligations imposées par la loi et les tribunaux.
Mais cette instruction n’a pas valeur de droit.
Examinons maintenant les incidences pratiques d’une mutation des salariés en Inde avec un salaire de 69 euros.
Peut-on dire que proposer un poste en inde à 69 euros constitue une offre sérieuse et loyale ?
En l’absence de jurisprudence précise sur le sujet nous pouvons légitimement considérer qu’une offre sérieuse et loyale est une offre qui est acceptable.
Ne pouvons nous pas dégager des critères généraux de l’offre acceptable sans tomber dans une définition au cas particulier de chaque salarié ?
Regardons de plus près
N’examinons pas le montant du salaire qui est en adéquation avec les usages locaux examinons seulement les incidences de la mutation sur les garanties sociales des salariés.
Ces salariés vont sortir du champ d’application de la protection sociale francaise. en matière de retraite ils ne vont acquérir aucun droit de validation de trimestre sauf si l’employeur ou le salarié adhère à la CFE ( clic ici)
L’employeur peut prendre en charge les cotisations ( cotisations forfaitaires allant de 50 à 100% du plafond de la sécurité sociale ) mais ce n’est pas une obligation.
Il est évident qu’en touchant seulement 69 euros le salarié ne pourra pas adhérer à la CFE car tout son salaire ne suffirait pas à couvrir le coût d’une partie des cotisations.
En matière de chômage ils vont être affiliés au GARP sur la base de leur nouveau salaire ou avec accord de l’employeur sur la base du salaire qu’ils toucheraient en France sur un poste équivalent.
Il est évident que les montants des cotisations et des prestations en cas de chômage seront très différents en fonction du choix de l’employeur et des salariés.
Lorsque nous examinons les conséquences pratiques d’une mutation en inde avec un salaire de 69 euros nous nous apercevons qu’en fonction des choix de l’employeur les pertes de garanties pour les salariés tant au niveau des prestations maladie, maternité , accident , vieillesse , retraite complémentaire et chômage peuvent être considérables.
En l’absence de proposition concrète sur le sujet de l’employeur, nous pouvons légitimement considérer que l’offre n’est ni sérieuse ni loyale car le salarié n’a pas tous les éléments pour donner une réponse éclairée.
Il en est de même si le salarié ignore les contraintes administratives locales pour exercer une activité
Pour travailler en Inde il faut un visa de travail et les difficultés pour l’obtenir ou pour le prolonger sont multiples( voir en ce sens un article sur les problèmes pratiques en matière de visa clic ici)
En regardant donc de plus près et sans aborder la question du montant du salaire nous nous apercevons que proposer des emplois en Inde sans prévoir des garanties sérieuses en matière de couverture sociale, de validation des trimestres au niveau de la retraite de base et des retraites complémentaires et du chômage ne constituent pas à mon sens une offre loyale et sérieuse.
Ainsi si l’employeur n’a pas prévu ces garanties et la prise en charge du coût de ces garanties compte tenu du montant du salaire proposé il ne fait pas une proposition sérieuse et loyale à ses salariés.
Les propositions de reclassement dans des pays à bas coût de main d’oeuvre se sont répandues ces dernières années.
L’équipementier automobile rennais La Barre Thomas a proposé en avril à des techniciens des reclassements en Pologne pour environ 700 euros brut par mois.
dans l’intéret de tous les salariés il est clair que les salariés qui vont refuser ce reclassement auraient intérêt à saisir les tribunaux afin de faire juger ce cas d’espèce
les syndicats devraient se mobiliser pour les aider et les soutenir financièrement dans leur démarche
et leur affaire ferait peut être jurisprudence en permettant de dessiner les contours d’une offre acceptable !
mais il serait plus sage de légiférer rapidement sur ce point et de modifier en conséquence les articles du code du travail car la situation est urgente et les cas semblables risquent de se multiplier.
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