Du (bon) sens de l’abstention en démocratie
La question première qui se pose à la plupart des commentateurs des résultats des élections au parlement européen est celle des motifs du taux élevé, voire massif, d’abstention (60% en France). Je voudrais ici remettre en question une vision unilatéralement négative et trop répandue de ce prétendu échec de la citoyenneté européenne
Il est vain, me semble-t-il, de chercher dans cette abstention massive un sens unique et encore moins une affirmation de défiance, voire d’hostilité, vis-à-vis de l’Europe. L’abstention n’est pas une attitude politique, elle n’est d’abord que le révélateur d’une difficulté à mesurer, surtout chez les 18-35 ans qui se seraient abstenus à 70-80%, l’enjeu d’une scrutin proportionnel qui ne définit aucune victoire nette d’une majorité sur une minorité, sans finalité de pouvoir clairement établie et sans que le nouveau rôle du parlement européen ait été anticipé dans le cadre de la future éventuelle, voire probable, application du traité de Lisbonne, dès lors que celle-ci n’a pas pu encore être politiquement expérimentée.
S’ajoute probablement à ce motif d’abstention l’idée que la victoire du non au référendum en 2005 en France, n’a pas été suivi d’effets positifs sur la poursuite de la construction européenne en l’absence de position cohérente des partisans du refus de l’Europe politique supra-souveraine de gauche ou de droite. L’euroscepticisme ou la critique radicale de l’Europe telle qu’elle fonctionne n’a pas fait la preuve de sa capacité à présenter une alternative politique ; c’est le moins que l’on puisse dire, d’où le succès indiscutable actuel de NS qui, dans sa campagne présidentielle de 2007, avait explicitement sorti le futur traité de Lisbonne (baptisé mini-traité à l’époque) du débat politique franco-français en refusant d’en faire l’objet d’un référendum, dès lors que celui-ci avait montré ses limites sur un enjeu précisément européen. Le non de 2005, sans alternative cohérente (plus ou moins d’Europe, non d’extrême droite et non de gauche) , sans un oui à autre chose de crédible donc, ne voulait rien dire. Ceci peut expliquer en partie que beaucoup d’électeurs se soient dit que cette question d’une union et/ou d’un traité internationaux ainsi que leurs règles de fonctionnement, relèvent d’une diplomatie délicate dont les électeurs ne peuvent maitriser le processus et les enjeux en termes et selon les critères nationaux plus simples du choix entre les partis de droite ou de gauche. Seuls semblent s’être mobilisés, dans ces élections de 2009, les électeurs qui se disent conscients des enjeux européens et des conséquences démocratiques du traité de Lisbonne quant au nouveaux pouvoirs attribués au parlement européen par le futur traité de Lisbonne . Il est donc moins étonnant qu’il ne paraît qu’une majorité d’électeurs se soit abstenue, c’est plutôt le fait que plus de 40%, dans des conditions aussi défavorables, aient voté qui doit faire sens positif. Ainsi ce sont ceux qui ont fait une campagne européenne sur l’Europe (UMP, Verts) qui ont mobilisé et gagné contre ceux qui ont cru confondre les élections nationales et européennes (PS, MODEM, voire paradoxalement le front de Gauche) qui ont indiscutablement gagné ces élections..
En ce sens, les abstentionnistes, par delà cette abstention massive particulière, nous rappellent une vérité de la démocratie réelle : il vaut mieux pour celle-ci que des citoyens qui se sentent mal informés ou ne se sentent pas suffisamment convaincus dans un sens ou dans l’autre à propos d’enjeux dont ils ne pensent pas maîtriser les données complexes pour choisir par eux-même laissent à ceux qui le croient l’être sont le soin de choisir à leur place. De ce point de vue l’abstention peut être une attitude démocratique plus responsable qu’on ne le prétend trop souvent . Elle doit être reconnue pour ce qu’elle est chez nous : le droit démocratique fondamental de ne pas voter lorsque l’on ne sait pas encore (surtout pour les plus jeunes) pour qui et pour quoi voter ou lorsqu’on ne sait pas quels résultats collectifs peuvent découler ou être fait de leur choix individuel.
Penser que tous les citoyens doivent, toujours et sur tous les sujets, être capables de décider par eux-même d’une décision cohérente engageant tous les autres est une illusion dangereuse, dans la mesure où elle risque de conduire à mépriser l’ensemble de nos concitoyens qui ne votent pas ; ce qui, on en conviendra, reviendrait à mépriser la démocratie réelle au nom d’une démocratie idéale réellement impossible, comme l’avait déjà démontré Condorcet au XVIIIème siècle, démonstration complétée et radicalisée pas Arrow au XXème.
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