Jésus : un phénomène étonnant qui néanmoins s’explique dans son contexte historique
Il est écrit ceci dans le document de Damas des manuscrits de la mer Morte : 390 ans après avoir abandonné son peuple à Nabuchodonosor, roi de Babylone, Dieu se souvint de son ancienne alliance avec Abraham et le visita. Il fit pousser d'Israël (l'ancien royaume du nord) et d'Aaron (les prêtres de la tribu de Lévi, en Judée) une racine de plantation (plantation = communauté). Cela nous donne une date qui va de - 207 à - 197, ce qui correspond à l'époque où le grand prêtre Simon exerçait la suprême magistrature. Il s'ensuit que c'est lui qui a planté la racine de cette plantation qui se réclame d'une nouvelle alliance, et cela sur la base d'un Livre de méditation à deux volets : le texte de ben Sira pour le peuple ordinaire, le règlement de la future communauté (le rouleau de la Règle) pour les volontaires les plus ardents. Enfin, c'est son fils Onias III qui, apparemment, continua l'oeuvre dans une semi-clandestinité pendant l'occupation grecque des généraux d'Alexandre.
I. Esséniens au nord de la Palestine, ces descendants des exilés de Babylone se sont réinstallés principalement en Israël et dans l'arrière-pays de Damas.
Le rouleau de la Règle définit avec précision l'organisation de la communauté des volontaires : serments, abandon de ses biens à la communauté, formation sur deux ans, règles strictes, sanctions, maintien absolu du secret. Nous avons là une "Nouvelle alliance" aux allures de franc-maçonnerie, prête à se mobiliser pour la lutte finale, ce qui n'est pas en contradiction avec les travaux des champs pendant les périodes de paix. C'est sous ce deuxième aspect que les auteurs anciens les ont décrits en leur donnant le nom d'esséniens.
André Dupont Sommer pense à juste raison que le mot "essénien" est proche du mot conseil. Et en effet, c'est bien un conseil qui dirige l'organisation : conseil divin dit de Dieu qui rassemble tous les membres de la communauté, fils de lumière. Le conseil de Dieu restreint est composé de quinze hommes (douze laïcs représentant les douze tribus et trois prêtres représentant les lévites). Le Dieu d'Israël et son ange de vérité, esprit du bien, viennent en aide à tous les fils de lumière (Règle III, 24-25), ce qui signifie, en clair, que Dieu inspire le conseil, grand ou restreint (il en sera de même pour Jésus).
"L'aboutissement" sera la Cène que présideront à la fin des temps, à la fois le messie d'Israël et le prêtre (celui qui a fondé la secte, Simon le Juste).
II. Le Ier siècle avant J.C. marque un ralentissement de l'activité littéraire essénienne.
En - 88. Prise de Bethsaïde et de Gamala par le roi asmonéen Alexandre Jannée. Plavius Josèphe écrit : Alexandre Jannée, roi de Juda, ramena de Béthon (Bethsaïde selon moi, au bord de la mer de Galilée) huit cents prisonniers (esséniens selon moi). En pleine ville de Jérusalem, écrit l'auteur de La Guerre des Juifs, sur un lieu élevé bien en vue, corrige l'auteur des Antiquités judaïques, Alexandre Jannée fit dresser huit cents croix. Face à ces huit cents croix, on avait préparé la table du festin pour fêter la victoire du roi. Alexandre Jannée était allongé parmi ses concubines... buvant. On éleva les huit cents Esséniens sur le bois et on les crucifia. On égorgea sous leurs yeux leurs femmes et leurs enfants qui se traînaient à leurs pieds.
Pourquoi Alexandre Jannée a-t-il imaginé une telle mise en scène ? Serait-ce que, dans ce moment d'effroyable tourment, il ait voulu montrer à la communauté essénienne que ne venait la sauver, ni Dieu, ni Simon le Juste ?
En - 4, à Jérusalem, terrible répression des juifs pieux par le pouvoir hérodien. Flavius Josèphe écrit : Profitant que la maladie avait affaibli Hérode, certains “maîtres de la parole” soulevèrent la jeunesse contre "l'impie", faisant mettre en pièces tout ce qui représentait un être vivant : sculptures, images, statues ; car cela était contraire à la Loi des Anciens, et en particulier, l'aigle d'or que le roi avait fait placer au fronton du temple. Alors, Hérode, bien que malade, se rendit devant l'assemblée du peuple, et là, il prononça son dernier discours ; puis il donna l'ordre de brûler vifs les jeunes gens ainsi que les instigateurs de la révolte ; les autres, il les livra au bourreau. Hérode mourut cette année-là. Lors de ses funérailles, une foule immense manifesta pour célébrer ceux qui étaient mort pour défendre la Loi. Archélaos fit donner la troupe. On dénombra 3 000 morts (toujours d'après Flavius Josèphe).
L'épître de Jacques rappelle le jour de cette "grande boucherie" (Ja 5, 6). C'est une longue plaidoirie de réconfort adressée à ceux qui ont fui la persécution et une violente attaque contre les riches qui les ont chassés tout en s'emparant de leurs biens. Perdu dans les écrits du Nouveau Testament, cet évangile/épître est tombé dans l'oubli pour la simple raison qu'en le plaçant après les quatre évangiles, on n'y a vu qu'une répétition sans grand intérêt de ce que Jésus de Nazareth avait déjà révélé. Hélas ! il fallait comprendre que Jacques ne répétait pas Jésus, mais qu'il l'annonçait.
Je m'explique. Les Hébreux/juifs ont souvent senti la présence plus forte de Yahvé pendant les périodes de tension et de guerre. Ainsi s'est ébauchée, tout naturellement, l'idée d'une certaine dualité de Dieu dans la notion de "Yahvé" qui trône dans le ciel et de “Yahvé des armées”. “Yahvé des armées” serait Yahvé quand il se manifeste dans les moments critiques. Il serait en quelque sorte “Yahvé qui vient”. Qu'on fasse un pas de plus et on arrive au Jésus, Christ, dont parle Jacques dans son épître, un Jésus, Christ, qui est dans le ciel, et dont il attend la venue.
Esséniens descendants probables des exilés de Babylone réinstallés à Jérusalem, les victimes de cette répression se sont réfugiés dans le désert de Judée, autour de la mer Morte. Le Protévangile de Jacques leur donne le nom de Jean, fils de Zacharie (les maîtres de la parole assassinés par Hérode).
III. En l'an 28, un Jean, dit le Baptiste, relance le mouvement essénien depuis le désert de Judée. (1)
Flavius Josèphe écrit (je résume) : ...Hérode (Antipas) l’avait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et qu’il excitât les Juifs à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu pour recevoir le baptême... Des gens s’étaient rassemblés autour de lui, car ils étaient très exaltés en l’entendant parler. Hérode craignait qu’une telle faculté de persuader ne suscitât une révolte, la foule semblant prête à suivre en tout les conseils de cet homme... Jean fut envoyé à Machaero (Macheronte)... et y fut tué...
L'évangile de Marc ajoute : Car c’était lui, Hérode, qui avait fait arrêter Jean et l’avait lier en prison, à cause d’Hérodiade, la femme de Philippe, son frère, qu’il avait épousée. Car Jean disait à Hérode : “Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère”. Hérodiade en avait contre lui, et elle aurait bien voulu le tuer, mais elle ne le pouvait pas. Car Hérode craignait Jean, le sachant un homme juste et saint, et il le protégeait. Et après l’avoir entendu, il ne savait vraiment que penser, et cependant il l’écoutait avec plaisir.
Quel était donc le projet de Jean dont Hérode ne savait pas quoi penser ?
IV. Le mystère des quatre évangiles.
Pour l'Église, les quatre évangiles auraient été rédigés après la guerre de Jérusalem de 70 sur la foi de souvenirs et de notes, d'abord celui de Matthieu, ensuite Marc, Luc et Jean. Pour Claude Tresmontant, les quatre évangiles ont été écrits avant la guerre de 70 dans l'ordre suivant : Matthieu, Jean, Luc et Marc. J'adhère au raisonnement de Tresmontant mais mon ordre est Jean, Marc, Luc et Matthieu.
Ces textes évangéliques ont été rédigés dans le feu de l'action. Ils comportent deux parties : une première partie "prosélyte" relatant des événements vécus (2) suivie d'une cène de repas elle même suivie d'une crucifixion. Pour l'Église, le phénomène important dans cette deuxième partie est la résurrection du Christ. Si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine, écrit saint Paul (1Co, 15, 14). Je pense que c'est plutôt le repas de la cène où se retrouvent rassemblés, fraternellement unis dans le repas commun, tous les disciples jusque-là divisés, à la fois les Simon-Pierre, au nord, et les Jean, au sud, diaspora comprise, le traître étant la tribu de Juda qui s'est "vendue" aux occupants romains (3). Face à un empire romain envahissant, je ne vois pas d'objectif plus important que celui-là pour les juifs historiques de cette époque, à savoir le rassemblement des tribus dispersées, en commençant par celles qui se trouvaient toujours en Palestine.
Or, pour les rédacteurs du premier évangile, celui de Jean, la tentative de Jean-Baptiste de rassembler les juifs divisés semble s'être soldée par un échec. Ils écrivent en effet : Il est venu chez lui (en Israël), et les siens ne l'ont pas accueilli (Jn 1, 11). Qui sont "les siens" sinon Simon. Lors du procès du Jésus de Jean devant le grand prêtre, à la question qui lui était posée : Ne serais-tu pas, toi aussi, de ses disciples ? Simon-Pierre avait nié : Je n'en suis pas, et aussitôt un coq avait chanté (Jn 18, 25.27). Et pourtant il avait promis : Je livrerai ma vie pour toi (Jn 13, 37). Doutant de cette promesse, Jésus avait d'ailleurs prédit : Le coq ne chantera pas que tu ne m'auras renié trois fois (Jn 13, 38). Ce n'est que dans les évangiles qui vont suivre que leurs auteurs feront rechanter le coq, mais là, Pierre se souvint de la parole que lui avait dite Jésus dans le premier évangile "Avant qu'un coq chante deux fois, trois fois tu me renieras". Et il pleura. (Mc 14, 72, Lc 22, 62, Mt 26, 75). J'insiste sur ce point pour bien montrer que nous sommes dans la suite d'une histoire : Simon-Pierre pleura dans les trois évangiles de Marc, Luc et Matthieu, alors que, dans le premier, celui de Jean, ne s'étant pas encore repenti, il n'avait pas pleuré.
Au pied de la croix du Jésus de l'évangile de Jean, il n'y avait à côté des deux Marie que le disciple préféré (Jn 19, 25.27). Simon était aux abonnés absents ; il ne rejoignit Jean que lorsqu'il lui fallut bien constater que le Jésus de Jean, pourtant enterré à Jérusalem, était ressuscité dans la population de Tibériade (Jn 20, 3.4). C'est la révélation du tombeau vide que Jean s'est empressé d'aller voir alors que Pierre traînait les pieds pour s'y rendre http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-christ-est-il-ressuscite-a-128903. (dans le paragraphe "critique de mon hypothèse", lire - 88 au lieu de -170).
V. Comment comprendre la résurrection de Jésus dans l'évangile de Jean ?
Flavius Josèphe nous dit que le Baptiste fut décapité, décapitation confirmée par l'évangile de Marc qui ajoute que les croyants fuyaient sans même prendre le temps du repas communautaire (Mc 6, 31). Le Sanhédrin et les Romains ont-ils vu le piège ? Admettons toutefois que le Jésus de Jean ait été crucifié.
Je rappelle ce que j'ai écrit au Ier paragraphe : Le Dieu d'Israël et son ange de vérité, esprit du bien, viennent en aide à tous les fils de lumière (Règle III, 24-25), ce qui signifie, en clair, que Dieu inspire le conseil grand ou restreint et chaque membre... On peut même aller plus loin en affirmant que c'est Dieu (ou Jésus) qui, en fait, agit, le conseil n'étant que son instrument. Je rappelle l'explication que j'ai donnée du miracle de Césarée, à savoir que c'est Jésus qui s'exprime par la voix de Simon-Pierre http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-evangiles-un-devoir-de-verite-144981. Il s'ensuit qu'il faut comprendre que si Jésus monte sur la croix, c'est dans le corps d'un divin conseil, grand ou restreint.
Dans ces conditions, nous avons plusieurs possibilités : ou bien Dieu intervient pour faire ressusciter son fils en gloire, ou bien il n'intervient pas, ce qui fera dire au Jésus de Marc "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?". Ou bien, il faut comprendre que Jésus ne peut ressusciter qu'en esprit. C'est ainsi que les rédacteurs du premier évangile ont réglé le problème en imaginant, à Tibériad, une sortie des tombeaux historiques de l'esprit de Jésus ce qui a probablement coincidé avec une action prosélytique forte menée au sein de la population locale.
VI. Comment comprendre la résurrection de Jésus dans les évangiles qui suivent ?
Mais il y avait aussi l'heureuse surprise que Jésus ressuscite en esprit dans une autre communauté, trois jours après... ou trois ans, et ainsi de suite jusqu'à la fin des temps, ce que ne pouvaient pas prévoir les rédacteurs de l'évangile de Jean.
L'histoire qui suit va en effet dans ce sens : la crucifixion de Jésus dans l'évangile de Jean ayant eu lieu vers l'an 30, trois ans après suit une autre crucifixion de Jésus dans l'évangile de Marc, vers l'an 34. L'évangile de Luc paraît vers l'an 38 avec un an de retard dont l'évangéliste s'excuse dans la parabole du figuier qui est en retard pour donner son fruit (Lc 13, 6 à 9)). L'évangile de Matthieu attendra plus longtemps, l'an 48, mais là, nous avons la preuve que Jésus a bien été crucifié dans un conseil. Dans ses Antiquités judaïques, Flavius Josèphe écrit : « Tibère Alexandre fit crucifier Jacques et Simon, fils de Juda de Galilée, qui du temps que Cyrénius faisait le dénombrement des Juifs, avait sollicité le peuple à se révolter contre les Romains ».
Je laisse aux théologiens le soin d'approfondir le mystère.
E. Mourey, le 12 avril 2015, www.bibracte.com, extraits de mes ouvrages. Mes deux "Histoire du Christ" ont fait l'objet d'un dépôt légal en juillet et octobre 1996. Je les ai envoyés gratuitement à un certain nombre d'intellectuels et de philosophes ainsi qu'à deux ministres en charge de responsabilités, ainsi qu'au Vatican.
Renvois.
1. Reçu par Hérode Antipas avec lequel il conversait, Jean est manifestement un personnage important. Son désert de Judée est la région de la mer Morte où se trouvent ses implantations esséniennes, à Qumrân, à Ein Gedi... Son habit en poils de chameau n'est évoqué que pour rappeler celui de l'homme vêtu de lin qui était apparu au prophète Daniel. Lui-même et les Jean de sa communauté sont les enfants des prêtres assassinés par Hérode que le protévangile de Jacques identifie à Zacharie. Ces enfants avaient fui dans le désert avec leur mère symbolique, Élisabeth.
2. Comme je l'ai expliqué pour le miracle de Césarée, Jésus inspire les disciples et le conseil. L'évangile raconte donc leurs faits comme si l'auteur en était Jésus. Il suffit donc pour la plupart d'entre eux de remplacer le mot Jésus par le conseil (galiléen) ou par les saints de Dieu, et de réajuster le texte en l'extrayant de son habillage allégorique, ce qui nous ramène à des scènes plus plausibles.
3. La dernière cène veut manifestement s'inscrire comme l'accomplissement de la prophétie essénienne avec le retour des deux prêtres sacerdotaux en compagnie du messie d'Israël, d'un côté Simon le Juste, de l'autre un Jean Maccabée (?), d'un côté les esséniens du nord, de l'autre côté, ceux du sud, enfin réunis, belle image à envoyer et à diffuser dans toute la diaspora.
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