L’escroquerie du mariage pour tous
La loi sur le « mariage pour tous », formule proprement délirante (que l’on aimerait voir reprise, pour s’en moquer, par le regretté P. Muray), est à présent votée par le Parlement. On peut enfin raisonnablement espérer que s’achève ainsi la stratégie de diversion que le gouvernement a déployée au moyen de cette réforme de société, lui permettant par ailleurs de tenir au moins un de ses engagements de campagne.
Car le véritable scandale de cette loi n’est pas à rechercher dans son contenu : aussi discutable qu’elle puisse être en effet, elle n’a qu’un rapport très lointain avec toute espèce d’intérêt général ; de même, aussi révolutionnaire qu’elle apparaisse, portée dans cet aspect autant par ses partisans que par ses pourfendeurs, elle ne bouleverse en rien les rapports sociaux tout comme elle ne change pas la vie telle que notre époque la façonne. Elle demeure fondamentalement une loi mineure, pour une minorité, minable à vrai dire dans sa prétention à donner une caution progressiste à un gouvernement qui ne semble avoir de socialiste que le nom (à quand un ouvrage sur la gauche de Karl Marx à Jean-Marc Ayrault ?)
Au moment même où la séquence politico-médiatique du mariage pour tous est en passe d’être remplacée par une autre, qui ne manquera sans doute pas d’être aussi insignifiante tout en produisant le frisson du changement(décidément, merci Vincent pour la formule) auquel les citoyens sont dopés à mesure qu’on croit les endormir, nous apprenons que le gouvernement renonce à réguler les hautes rémunérations, appelant sans rire le grand capital à une « autorégulation exigeante » (le pétillant P. Moscovici, récemment dansLes Echos) . Concomitamment, le Président de la République rend hommage à l’ancien chancelier allemand G. Schröder, pour le courage dont il aurait prétendument fait preuve en mettant en œuvre outre-Rhin des réformes… néolibérales.
Du temps de Nicolas Sarkozy, souvenons-nous, le gouvernement tenta d’organiser un débat sur l’identité nationale. Débat légitime, à la condition qu’il ne se borne pas à l’immigration (souveraineté, langue française etc.) et qu’il ne remette pas en question le creuset républicain. Nous vîmes alors une armée de journalistes, de chroniqueurs, d’éditorialistes et autres têtes pensantes ayant leurs entrées à France Télévision et Radio France, exprimer leur écœurement et refuser de débattre. On accusa le gouvernement d’orchestrer une opération de communication retorse et inopportune, « soufflant sur les braises du racisme », « chassant sur les terres du Front National ». Comme pour à peu près toutes les tentatives pourtant si peu sérieuses de Nicolas Sarkozy, tout ou presque du gotha médiatico-intellectuel se souleva dans un élan collectif d’indignation. Ce faisant, il tomba sans le piège que leur avait tendu « le petit », qui put au moins s’enorgueillir de s’être distingué de la posture de déni qu’affecta le gratin parisien, renvoyant ce dernier à son élitisme de salon.
Certes, le mariage gay constitue une promesse de campagne et, sous cet angle, le gouvernement actuel est légitime dans l’énergie qu’il déploie pour le rendre juridiquement possible. Mais quand la politique générale du gouvernement est socialement régressive, économiquement moutonnière et finalement, si maigrement socialiste, avec une trahison aussi rapide que systématique des engagements de campagne, au point qu’on peine à y croire vraiment (même quand on est blasé), comment ne pas voir que le mariage gay fut aussi l’occasion de redonner une caution progressiste à la gauche, comme hier la droite s’efforça de se rapprocher des milieux populaires en convoquant le thème de l’identité nationale ?
Le piège, au demeurant, a fonctionné avec la même efficacité (ce sera une toute autre affaire dans les urnes, comme pour N. Sarkozy), puisque la posture progressiste du gouvernement Ayrault supposait que la droite se mobilisât férocement contre le texte. A gagner sans résistance, n’est-ce pas, on triomphe sans gloire. De ce point de vue, le surgissement de casseurs d’extrême droite au milieu des « manif pour tous » fut une sorte d’aubaine pour apporter la cerise sur le gâteau d’une réforme mise au service d’un beau tour de communication.
Au final, pourtant, la vie est plus dure aujourd’hui qu’elle ne l’était hier pour les citoyens de notre République, et tout porte à croire qu’elle le sera plus encore demain si l’on en juge par l’alignement idéologique dont fait preuve ce gouvernement manifestement dépassé par la situation ; la communauté nationale sort plus divisée encore qu’elle ne l’était, tandis que la France, notre patrie, poursuit, sans espoir de redressement à l’horizon, son processus de déclin économique et de déclassement international. Le chômage bat chaque mois un niveau record, tandis que nous en sommes réduits à supplier les Chinois d’investir leur richesse insolente sur notre territoire comme jadis l’Europe, maîtresse du monde, le fit avec un zèle inégalé aux quatre coins du globe terrestre.
Dès lors, voici les choses telles qu’elles m’apparaissent : la droite ballade ses électeurs en feignant de s’intéresser à ses inquiétudes culturelles, tandis que la gauche se joue des citoyens qui la soutiennent en affectant de lutter contre un péril réactionnaire qui ne semble avoir rien de comparable avec celui des années 1930, péril dont elle se gargarise pour redorer son identité de gauche, les deux forces de gouvernement se rejoignant au final pour favoriser, sans vergogne et non sans un cynisme stupéfiant, la cupidité antipatriotique du monde des affaires. Cette trahison à double entrée, je le crains d’autant plus que les partis de gouvernement ne semblent pas prendre conscience de la plausibilité croissante de ce risque, pourrait conduire presque inexorablement à la victoire finale du Front National, quand le peuple appauvri et bardé d’angoisses déclenchera dans les urnes un véritable tsunami protestataire.
Ce jour-là, s’il devait jamais éclore dans les temps à venir, il serait vain de chercher des responsables, quand il s’agira plutôt de sauvegarder les fondamentaux républicains, en espérant qu’une fois aux commandes, ce parti ne ferait pas la part belle à ses radicaux de tous ordres. Pour autant, il ne serait pas trop inapproprié d’avoir une pensée mauvaise pour ces anciens politiciens que l’on verrait alors, pour une part, virer leur cuti, et pour une autre part, se lamenter des conséquences dont ils chérirent pourtant les causes.
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