La charge est lourde mais peu précise ; un éléphant, ça (se) trompe énormément ?
Que de références complexes dans les propos récents de l’ancienne ministre de la Justice Elisabeth Guigou !
Ainsi, par le choix de l’optique d’une rétention dans un centre médico-judiciaire pour un an renouvelable, s’appliquant aux personnes condamnées à une peine de prison de quinze ans ou plus pour un crime à caractère sexuel à l’encontre d’un mineur, après expertise psychiatrique de leur dangerosité par une commission pluridisciplinaire (lien), selon cette ancienne ministre, le gouvernement « tourne le dos à Beccaria nourri de la philosophie des Lumières, [...] choisit Lombroso et son "homme criminel". Or [...] c’est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l’Allemagne nazie » (lien).
Les pires débordements de l’Allemagne nazie n’ont pas consisté en l’enfermement dans un centre médico-judiciaire de criminels condamnés à une peine extrêmement lourde (quinze ans, c’est rare) ayant la particularité d’être d’avis d’experts toujours extrêmement dangereux - soit une poignée d’individus dont les actes passés sont parmi les plus graves au regard de notre loi pénale. Les pires débordements de l’Allemagne nazie ont consisté en l’extermination de milliers d’individus qui n’avaient commis aucune faute pénale, dont le tort était d’être juifs, roms, opposants politiques/religieux ou malades mentaux. Une telle comparaison est si insultante pour l’ensemble des victimes du génocide nazi qu’elle m’apparaît inacceptable de la part d’un élu de la République. Une suggestion aussi outrancière frôle la contestation du crime contre l’humanité, quand bien même son auteur se défend en déclarant qu’il ne « dit pas que ce texte veut ces dérives [mais] qu’il peut les entraîner », défense hors sujet puisque le scandale n’est pas dans l’intention qu’on se doute bien que l’auteur n’a pas prêté au gouvernement mais dans la comparaison entre une mesure pénale humaine s’appliquant à une poignée de criminels avec la concentration et l’extermination sans nom s’étant appliquée à des milliers d’individus.
Et quand je parle d’une mesure pénale humaine, je pèse mes mots : un enfermement strictement motivé au regard de la loi dans un cadre médico-judiciaire n’est pas un prodigieux scandale. Faute de quoi il faudrait remettre en cause les hospitalisations d’office et les hospitalisations à la demande d’un tiers, affectant les insensés afin de leur offrir un suivi psychiatrique dont ils sont nécessiteux, qui n’ont pas semblé gêner plus que cela l’ancienne ministre de la Justice.
L’évocation de Cesare Lombroso est tout aussi impudente, à la différence près que Lombroso ne s’est pas associé à un génocide. Lombroso avait cru établir le caractère inné, et donc génétique, de la criminalité. Pour ce faire, il mesurait notamment des crânes de criminels et y cherchait la bosse du crime. Il est revenu sur ses pas en 1899 en reconnaissant au contexte social une influence notable. Rien à voir donc avec la loi actuelle qui ne cherche pas des traits physiques pour enfermer ou condamner des présumés innocents mais bien pour empêcher de nuire des criminels avérés que la psychiatrie estime comme très dangereux s’ils venaient à être libérés.
Quant à Cesare Beccaria, l’ancienne ministre de la Justice oublie sans doute que cet opposant à la torture était donc par contrecoup favorable à l’enfermement proportionné au crime commis. Dans son Traité des délits et peines, chapitre XXVIII intitulé « De la peine de mort », il écrit que « le frein le plus propre à arrêter les crimes n’est donc pas tant le spectacle terrible, mais momentané, de la mort d’un scélérat, que l’exemple continuel d’un homme privé de sa liberté, transformé en quelque sorte en bête de somme, et restituant à la société par un travail pénible, et de toute sa vie, le dommage qu’il lui a fait ». C’est encore bien trop léger que de vouloir s’approprier Beccaria en tirant de son chapeau qu’en 2008 il serait opposé à la loi sur la rétention de sûreté des criminels sexuels dangereux, alors que rien n’indique qu’il serait partisan d’un régime de clémence particulier à l’égard de cette forme de criminalité.
De la part d’une ancienne ministre de la Justice, tant de légèreté dans l’accusation et d’incongruité dans la récupération idéologique de références en matière judiciaire et philosophique aurait de quoi surprendre. Rappelons néanmoins que nous avons affaire à la ministre de la Justice qui en voulant « renforcer la présomption d’innocence » inscrivait dans la loi à plusieurs reprises la notion « d’indice faisant présumer [que des personnes] ont commis ou tenté de commettre une infraction » (inscrivant donc dans la loi une forme de notion de présomption de culpabilité), renommait la détention préventive en détention provisoire sans en changer le contenu, c’est-à-dire en donnant l’impression que désormais n’importe qui peut être placé en détention puisque la mesure n’aurait plus pour but de prévenir quoi que ce soit, et permettait aux accusés laissés libres en attendant l’audience de ne pas comparaître dans le box des accusés en cour d’assises, créant donc une distinction entre les accusés laissés libres et ceux placés en détention provisoire évidemment préjudiciable à la présomption d’innocence.
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