Ayant récemment observé minutieusement les divers faciès des gens lorsque mon amie crache le morceau concernant son nouveau choix, j’ai pu y voir un large éventail de réactions. En tête d’affiche il y a les choqués, qui ne parviennent pas à envisager un repas où la viande n’est plus la vedette dans l’assiette. Après, il y a les confus, comme notre serveur susmentionné, pour qui le terme végétalien est tel le code Enigma. Or, si le végétarisme était pour eux un concept étrange, le végétalisme est d’une autre stratosphère. Cependant, parmi toutes les réactions typiques, la plus émerveillante est celle de certains mangeurs sociables (à comprendre carnivores) qui se lancent dans une défense passionnée de la consommation de la viande, comme s’ils ont été la victime d’une attaque verbale malveillante. Les carnivores se plaignent-ils peut-être au nom de la cuisine française, ancrée dans la tradition et dont la viande est fondamentale à ses plats ? Pourquoi se sentent-ils personnellement touchés par le choix d’autrui ? Ce ne serait pas la première fois que des gens se considèrent agressés et se manifestent contre des causes que ne les concernent pas. En mai 2013, 150,000 adversaires du mariage homosexuel ont déferlé sur Paris pour exprimer leur mécontentement du simple bonheur des autres. Bien qu’on ne trouve pas de parité exacte entre les deux causes – principalement car le végétalisme est un choix – il est évident que le droit universel d’être soi-même est inutilement mis en question dans les deux cas. J’imagine que le végétalien, dans l’annonce de son choix, implique une sorte de condescendance à l’égard du carnivore. En effet, le végétalisme propose une éthique supérieure dans le traitement d’autres organismes vivants. De fait, tout le monde n’apprécie pas que l’on lui montre une voie alternative.
Toutefois, les végétaliens peuvent-ils se vanter réellement d’avoir du bon Karma et leur façon de vivre a-t-elle des avantages ? L’appétit humain vorace pour la viande a pour conséquence l’abatage de 60 milliards d’animaux par an dans le but de remplir nos rayons de grande distribution avec de la viande, et aussi divers produits domestiques et des vêtements. Désormais, cette production à la chaine prend les animaux telle une commodité brute. Toutefois, dans l’âge des nouvelles technologies culinaires et de la démocratisation de recettes à base de plantes grâce à un monde ultra connecté, sommes-nous dans notre bon droit de continuer cette tendance dominatrice pour assouvir notre faim ? Outre l’atout moral de réduire la consommation de produits animaux, on ne peut pas nier l’impact environnemental positif d’une vie sans produit animal. Le réchauffement de la planète est de mauvais augure pour l’avenir de la Terre, et la production industrielle de la viande, qui représente 18% des émissions de l’Homme, est l’un de ses ennemis jurés. Notre consommation, si elle n’est pas domptée, n’est pas durable à long terme et, à l’instar du transport, on devra inévitablement foncer vers des solutions plus vertes dans tous les aspects de la vie. On se rendra compte qu’une décroissance dans notre consommation de viande est une action directe et nécessaire a laquelle on peut s’engager quotidiennement pour contribuer à un monde pérenne.
Un mythe qui tourne en boucle autour du végétalisme dit que la carte végétalienne est fade et limitée à du tofu : du tofu accompagné de riz, du tofu accompagné d’un choux fleur grillé (lorsqu’ils cherchent àa s’éclater) ou bien du tofu accompagné d’un verre d’eau. Premièrement, laissons à l’écart le tofu. Il n’a jamais blessé personne et avec un peu d’assaisonnement il est parfaitement capable d’être sexy. Deuxièmement, sous-estimer la cuisine végétalienne comme de la mangeaille insipide risque de mettre de côté une culture gastronomique riche en surprises. Or, cuisiner pour mon amie déclenche mon côté créatif et vivifie mes idées culinaires. Une fois que la viande est enlevée de la liste des courses, je me dirige vers les rayons de légumes exotiques à la recherche d’un ingrédient principal non attendu qui sert de pièce maîtresse du repas, rôle habituellement attribué a la viande. Je suspecte que cet acte de remplacer la viande soit une conséquence de mon formatage de carnivore, où le classement d’éléments dans un repas est le suivant : viande + 2 accompagnements, y compris une dose de féculents et une de légumes. Mais pour beaucoup de végétaliens convertis, le remplacement de la viande par d’autres protéines peut être un obstacle mental initial qu’il faut surmonter. Ainsi, cela exige que l’on se renseigne avant de s’y mettre. Trouver des alternatives véritables et satisfaisantes (elles sont nombreuses) peut faire la différence entre ceux qui ne lâchent pas leur nouveau choix et ceux qui rechutent. Et il existe des autres possibilités pour tout ; mon amie, au lieu du lait, trouve pleinement sa dose de calcium grâce aux graines de lin, par exemple. Il va sans dire que toute transition devrait être effectuée progressivement pour protéger le corps contre un choc potentiel. D’ailleurs, les végétaliens que je connais sont désormais plus sensés par rapport à ce qu’ils ingèrent et plus savants concernant les valeurs nutritives de leur nourriture, conséquence également de la nécessite de cocher tous les groupes d’aliments pour ne pas priver le corps de substances nutritives ultérieurement acquises dans la viande animale.
‘It’s time to evolve – Go Vegan’ (C’est l’heure d’évoluer, devenez végan) stipule le placard d’une activiste australienne lors d’une manifestation. Je me demande si le végétalisme n’est pas justement la prochaine étape dans la marche de l’Homme vers une société plus consciente, sachant ce qu’on connaît désormais sur la provenance de notre nourriture. Une fois que l’on a ces connaissances, il devient plus problématique à balayer notre responsabilité humaine incommode d’un revers de main. Bien que le mouvement végétalien prenne de la vitesse, les végétaliens en France sont toujours aussi rares que les gens qui font l’effort de les comprendre. Cette infime fraction de plantivores de la population de l’Hexagone est si rarissime qu’elle est souvent mal jugée et faussement associée à une pléthore de termes telles Eco guerriers, anorexiques, casse-pieds… Leur ‘extrémisme’ provoque une rafale de questions et de doutes des personnes qui les croisent : ‘et vos oranges, elles sont de France ? De ce département ? Vous dîtes que vous êtes végétalien pour l’environnement mais elle est venue d’Espagne comment l’orange que vous bouffez-là ? En avion, exactement’. Ce ton d’autojustification cherche à déstabiliser le végétalien – de lui faire un croche-pied pour qu’il tombe dans sa tarte sans œufs d’une manière humiliante. L’attitude défaitiste est à l’origine de ces interrogations. Dans un autre contexte, par exemple, certains partisans des armes à l’usage personnel aux Etats-Unis argumentent que ce ne sert à rien de contrôler ces dernières puisque on ne pourra pas éradiquer le problème des violences à 100%. Même si c’est le cas, le progrès est le résultat d’avoir fait un maximum pour atténuer des conséquences néfastes dans les contraintes inévitables de la société, et les végétaliens, consciemment ou pas, aspirent a mener une vie empathique, saine et durable dans une société qui ne la facilite guère.