EPR : Le risque d’un scandale d’Etat est-il une raison suffisante pour prendre le risque de lancer l’exploitation ?
EPR : ces responsables du désastre que l'ASN évite de désigner
- 14 AOÛT 2017 MEDIAPART LE BLOG DE [email protected]
Faut-il dissimuler plus longtemps les responsabilités impliquées dans les défaillances de fabrication du réacteur de Flamanville et lancer l’exploitation d’un dispositif nucléaire défaillant dont personne ne peut évaluer les conséquences en cas de fissure du réacteur (copie de ma réponse à la consultation publique lancée par l'ASN)
L’EPR de Flamanville est déjà un scandale d’Etat qu’il démarre ou non. L’exposé qui suit le prouve. Faut-il éluder l’historique des manquements, connivences, maquillages et du sous-jacent corruptif qui sont à l’origine de ce scandale. Le fait que ce scandale mette en péril la crédibilité industrielle du pays est-il une raison suffisante pour prendre le risque de lancer l’exploitation d’un dispositif défaillant présentant un risque, même minime, pour les populations ?
C’est en fait le sens de la consultation qui est proposée, car autrement elle pourrait apparaître saugrenue. La population du pays dont l’avis est sollicité n’a assurément pas dans son immense majorité la technicité nécessaire à pour se prononcer sur la validité ou la dangerosité de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville. Car pas plus à Flamanville qu’à Fukushima ou Tchernobyl, en l’état des connaissances, aucun expert n’est en mesure d’évaluer le périmètre sinistré avant que l’incident n’ait lieu.
C’est donc sur les responsabilités impliquées dans la réalisation des éléments de la cuve ainsi que son sous-jacent corruptif, sur la base de mes propres questionnements et de mon expérience personnelle des ateliers du Creusot que j’apporterai ma contribution à la consultation lancée par l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Jean-François VICTOR
Président et Directeur Général d’UIGM qui devient CREUSOT MECANIQUE
Cannes le 31 Juillet 2003
A quelles dates ont été fabriquées les calottes du réacteur de Flamanville 3 et par qui ?
La Note ASN en vue de la réunion du 23 mars 2016 avec le HCTISN présente un historique de fabrication sur la base des indications du Groupe AREVA, historique sur lequel l’ASN n’est jamais revenu. Les dates de coulée, probablement indiquées par AREVA, sont le 23.1.2007 pour le fond de cuve et le 5.9.2006 pour le couvercle. Mais dans une Note du 26 Septembre 2016, le Cabinet John Large & Associates (diligenté par Greenpeace) indique une fourchette de dates plus large de 2004 à 2007 p 20 « Creusot commenced manufacturing of the upper and lower head components in or around 2004 with the manufacturing process extending through to 2007. Around that time, ASN expressed ‘situation préoccupante’ (ie “worrying situation”) about the state of the technical documentation of the RPV QT,[ 33 ] warning AREVA of the risk of manufacturing these components in the absence of an approved QT.[34] This suggests that at the time of manufacturing the FA3 upper and lower heads, the Creusot manufacturing route had not been assessed and approved by ASN and that, it follows, no Certificate of Conformity was in place for the manufacture of the RPV upper and lower head shells.[35]
Les dates proposées par John Large sont beaucoup plus vraisemblables car on ne prend pas la décision de lancer la fabrication le matin même de la coulée initiale, la réalisation impliquant trois sites industriels Industeel (Arcelor) Creusot Forge (pour les opérations de forge proprement dite) et Creusot Mécanique (pour l’usinage de la pièce).
Géographie des sites AREVA et INDUSTEEL au Creusot
Ce qui suppose de nombreuses dispositions préalables, la mobilisation et la coordination de plus d’une vingtaine de corps de métier (ajusteur, chauffeur de four, chef de projet, contrôleur, coordinateur qualité, forgeron, fraiseur, ingénieur R&D, presseur, usineur…), la numérisation des opérations du projet et une planification qui peuvent prendre plusieurs mois avant qu’on ne procède à la fonte de ferraille automobile recyclée et à la coulée initiale (par Industeel).
Par ailleurs la plaquette de Creusot-Forge et Creusot Mécanique, imprimée en Janvier 2011, propose bien en page 3 un historique de ces ateliers mentionnant en 2005 la fabrication des premières pièces du réacteur EPR Génération III+.
Plaquette "L'Energie est notre avenir" AREVA 2011
Plaquette AREVA 2011 page 3
Or Creusot Forge et Creusot Mécanique de Juillet 2003 à Octobre 2006 sont filiales à 100% du Groupe SFARSTEEL lui-même filiale à 100% du Groupe FRANCE-ESSOR lui-même propriété à quelques 97% de Michel Yves Bolloré (frère de Vincent). La même plaquette précité précise bien dans sa même page 3 que l’intégration de ces deux sociétés intervient en 2006, plus précisément en Octobre 2006.
D’une manière ou d’une autre la fabrication chevauche la date d’une cession dont il est nécessaire de souligner ici la singularité.
Michel Yves Bolloré a obtenu Creusot Mécanique (alors appelé UIGM) à la suite d’un dépôt de bilan/reprise assimilable à une captation d’entreprise, après qu’AREVA (actionnaire à 30 %) ait refusé de participer à une augmentation de capital de 1M€. La connivence entre AREVA et Michel Yves Bolloré est donc dès 2003 on ne peut plus explicite : premier cadeau. Pour ce qui est de la Forge dont AREVA était le principal client, la pression n’avait pas besoin d’être très forte pour qu’Arcelor accepte l’idée de s’en séparer, probablement avec une prime de fonctionnement assez conséquente : deuxième cadeau.
Michel Yves Bolloré qui, à l’initiative d’AREVA, a obtenu Creusot Mécanique par Jugement du Tribunal de Commerce de Chalon sur Saone le 31 Juillet 2003 pour 800.000 €, va revendre en Octobre 2006 (trois ans plus tard) ces deux ateliers (Creusot Mécanique et Creusot Forge) à ce même AREVA pour 170 M€. Montant qui implique un goodwill de près de 100M€ : troisième cadeau, toujours aux frais du contribuable.
Propriétaire et dirigeants de SFARSTEEL/France-ESSOR sont bien responsables du lancement de cette fabrication, probablement très avancée lors de la cession de SFARSTEEL à AREVA. Et Michel Yves Bolloré avait de bonnes raisons de ne pas tenir compte des avertissements de l’ASN au Groupe AREVA et de se lancer dans la fabrication de pièces (déterminantes pour les projets et l’avenir de l’industrie nucléaire française) puisqu’il était en train de négocier avec AREVA la vente de ses installations du Creusot. Il offrait ainsi à AREVA la possibilité de justifier auprès de ses actionnaire (essentiellement l’Etat) une évidente et presque ridicule survalorisation des usines constituant SFARSTEEL.
Nouvel0bs Caroline Michel Octobre 2015
Et les dirigeants du « géant du nucléaire » avaient probablement d’autres raisons de fermer les yeux, car tous les indices d’un sous-jacent corruptif (au détriment du contribuable) sont réunis.
L’abandon de Creusot Mécanique (UIGM) à Michel Yves Bolloré autant que le montant du Goodwill lors du rachat de SFARSTEEL sont éminemment suspects. Et le Ministre de l’Economie et des Finances dans une récente prise de position exceptionnellement colérique est tout à fait fondé à parler « connivences sans contrôle de l’Etat ». Et Bruno Lemaire de préciser à cette occasion que le sauvetage d’AREVA correspondait à des montants "supérieurs à l'intégralité des économies que le ministre des Comptes publics doit trouver en 2017 pour nous ramener sous les 3% (de déficit public par rapport au PIB)".
Inutile de dire que l’état-major d’AREVA n’a aucune envie qu’on s’en vienne procéder à l’exégèse de ses relations avec Michel Yves Bolloré. La dissimulation de son rôle s’impose, ce n’est qu’une dissimulation parmi tant d’autres. Il faut noter que son nom n’est nulle part mentionné dans les documents soumis par l’ASN à la consultation du public.
Mais au-delà de la responsabilité du lancement de cette réalisation, les ateliers du Creusot étaient-ils en mesure de lancer cette fabrication ?
Affirmativement non. D’abord pour un problème bien établi de capacité de production, clairement indiqué par … EDF.
Actu Environnement 7.7.2016 Les experts s’inquiètent depuis 2016
« Areva et EDF ont confirmé qu'elles n'étaient pas en mesure de fabriquer le couvercle et le fond de la cuve de l'EPR au Creusot. A l'avenir, la fabrication de ces pièces devrait être confiée à Japan Steel Works (JSW). Cette confirmation soulève des commentaires qui dépassent le mandat du groupe de travail, explique un participant.
Quel est l'avenir de la filière nucléaire française si Areva ne peut pas fabriquer ces équipements ? Réaliser l'ensemble de la cuve au Japon n'est-il pas plus pertinent ?
D'autant que pour l'EPR de Flamanville, JSW a fabriqué le corps de la cuve et Creusot Forge les deux pièces défectueuses (l'usine française n'ayant pas la capacité technique de fabriquer les autres parties, explique la note d'EDF). » (sic)
La décision de réaliser ces pièces au Creusot était donc une aberration, mais il faudrait aussi tenir compte de l’état de délabrement dans lequel AREVA a trouvé les ateliers qu’il venait d’acheter disons « au prix fort, à moins que ce ne soit à un prix de complaisance » où la fabrication des fond et couvercle de cuve étaient très probablement assez avancée.
« En 2006, André-Claude Lacoste , président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, se rend au Creusot. Il en revient absolument effondré. Les procédures de fabrication ne sont pas aux normes du nucléaire. (…) une fois dans les murs, AREVA découvre une usine en mauvais état, avec beaucoup de choses à redresser. Il n’y avait pas de bureaux, pas de chauffage, les toits fuyaient se souvient un ancien cadre (…) le groupe lance aussitôt un audit. Ses conclusions sont alarmantes. Des roumains ont été employés au noir : ils venaient travailler la nuit. Leur équipement était si peu conforme aux normes de sécurité que les auditeurs ont retrouvé des traces de semelles fondues au sol. Un dirigeant peu scrupuleux a favorisé des fournisseurs amis, gonflé ses notes de frais et émis de fausses factures… » Le NouvelObs 24.11.2016
Une seule explication à la décision de fabriquer au Creusot couvercle et fond de cuve bien que ces ateliers soient en limite de capacité, justifier par cet artifice l’exorbitante survalorisation dont a bénéficié Bolloré. C’est la raison évidente pour laquelle ces fabrications ont été validées en interne, malgré les avertissements et mises en garde de l’ASN.
Et pour mieux évaluer cette survalorisation, il est éloquent de suivre à travers les bilans et Documents de Référence des années suivantes l’évaluation et le devenir de ces entreprises. Le Bilan 2011 de AREVA NP SAS fait état page 13 d’un ajustement à la baisse de SFARSTEEL déprécié de 80 M€ et page 27 de pertes de 9.124.000 € confirmées par le rapport de gestion annexé du Président Knoche. Pour un € de chiffre d’affaire, CREUSOT FORGE et CREUSOT MECANIQUE génère un € de perte. Tableau du rapport de gestion
Le Directeur Financier d’AREVA va devoir faire disparaître dès 2012 les traces d’une acquisition dont la profitabilité s’est révélée immédiatement très discutable et catastrophique à terme. En page 14/43 du Bilan 2012 d’AREVA NP SAS on peut lire :
« Trois fusions ont été réalisées au cours de l’exercice 2012 visant à rassembler sous la même entité juridique, AREVA NP SAS, les sociétés AREVA CREUSOT FORGE SAS et CREUSOT MECANIQUE SAS afin d’utiliser au mieux les capacités en terme d’efficacité industrielle(sic), de flexibilité et de pérennité (resic). Ces fusions avaient également pour objectif de donner davantage de lisibilité (reresic) aux activités de la ligne des produits forgés-usinés-moulés.
…une première fusion-absorption de CREUSOT FORGE SAS par AREVA CREUSOT FORGE SASa té réalisée avec effet au 1er Juillet 2012 et une rétroactivité fiscale et comptable au 1er Janvier 2012
Une seconde fusion entre CREUSOT MECANIQUE SAS et AREVA CREUSOT FORGE SAS a été réalisée avec effet au 31 décembre 2012 minuit et une rétroactivité fiscale et comptable au 1er janvier 2012
La troisième fusion a consisté en l’absoption par AEVA NP SAS de la société AREVA CREUSOT FORGE SAS réalisée avec un effet au 31 décemnte minuit et une rétroactivité fiscale et comptable au 1er décembre 2012. »
Les pertes du Creusot vont donc se faire oublier et se perdre dans les pertes d’AREVA NP SAS, sytématiquement « épongées » par … le contribuable.
Cette malencontreuse fabrication va rapporter quelques 132 M€ net après impôts à Michel Yves Bolloré qui n’hésite pas à s’en féliciter dans la presse en se prévalant d’une décision relevant du pur patriotisme dans la tradition industrielle du gaullisme Interview dans le Journal de Saône et Loire (16 Juin 2006). Mais elle coûtera à travers EDF et AREVA des milliards d’euros au contribuables français en raison des retards de mise en service de l’EPR de Flamanville et de l’inévitable remplacement à terme du réacteur.
D’un égarement à l’autre.
Dès 2008, AREVA va éprouver le besoin d’acquérir 1,3 % du capital de JAPAN STEEL WORKS ce qui pourrait sembler contradictoire avec la récente reprise de SFARSTEEL puisque JSW en est à ce moment-là l’unique et direct concurrent.
On notera le revirement franchement paradoxal de la position du Groupe à travers les Documents de Référence du Groupe.
PAGE 206 du DDR AREVA 2007
« Le 8 février 2006, AREVA NP et France ESSOR ont signé un accord finalisant le rachat de
Sfarsteel, l’un des principaux producteurs mondiaux de très grandes pièces forgées, situé
dans le bassin du Creusot (Bourgogne). L’intégration de Sfarsteel à la Business Unit
Équipement permet de conforter l’offre d’AREVA sur le marché des réacteurs de nouvelle
génération en sécurisant les délais de livraison et la qualité des pièces forgées. Impact de +
33,8 millions d’euros en 2006. »
DDR d’AREVA en 2009 dans lequel on peut lire :
« 4 novembre 2008 : AREVA et Japan Steel Work (JSW) ont signé un accord permettant
d’assurer jusqu’en 2016 et au-delà les approvisionnements d’AREVA en pièces forgées de
grande taille, essentielles pour la fourniture des équipements nucléaires. Le groupe a
également annoncé une prise de participation amicale, à hauteur de 1,3 %, dans le capital
de JSW »
Dans le DDR AREVA de 2014 on peut lire :
« Le marché des pièces forgées nucléaires a longtemps été bi-polaire avec Creusot Forge et
son principal concurrent, le Japonais JSW (Japan Steel Works), qui assurent la couverture
d’une large partie des besoins du marché occidental pour les produits forgés. Depuis 2006,
l’offre s’est accrue avec des investissements importants en Allemagne, Italie, Corée du Sud,
Chine et Inde. »
Acquisition pour un montant de 47M€, sur une base une fois encore très survaloriséepuisque ce que le Groupe de Michel Yves Bolloré a vendu 170.063.586 € ne représente, à secteur comparable, que 4,7 % de son concurrent JAPAN STEEL WORKS
Survalorisation qui se confirme bien au fil des années, si on analyse la Valorisation entre 2008 et 2015 des titres JAPAN STEEL WORKS telle qu’elle apparaît dans les documents de référence du Groupe AREVA, le nombre d’actions détenues 4 830 000 restant stable avant de se « volatiliser »
DDR 2008 page 295 47 000 000 €
DDR 2009 page 291 43 000 000 €
DDR 2010 page 249 38 000 000 €
DDR 2011 page 251 26 000 000 €
( le 3 octobre 2011 AREVA cède l’ex SFARTSEEL de MY Bolloré pour l’euro symbolique)
DDR 2012 page 240 24 000 000 €
DDR 2013 page 239 20 000 000 €
DDR 2014 page 221 14 000 000 €
DDR 2015 page 218 ZERO pas de justification
Pourquoi avoir attendu que la participation de JAPAN STEEL WORKS ne vaille plus rien pour se désengager ?
En résumé,
Les turpitudes du groupe AREVA compromettent aujourd’hui la crédibilité industrielle du pays et les équilibres budgétaires de la Nation. Bruno Le Maire a d’ailleurs souligné que les besoins d'Areva étaient « supérieurs à l'intégralité des économies que le ministre des Comptes publics doit trouver en 2017 pour nous ramener sous les 3% (de déficit public par rapport au PIB) ». Challenges 12 .7.2017
Michel Yves Bolloré prétendait pendant les négociation de l'été 2006 vendre ses installations à AREVA par un patriotisme inspiré par une sorte de gaullisme industriel. Je doute pour ma part que de Gaulle ait apprécié un tel pillage (en réunion) de l'argent public. Sa réplique aurait même été - disons par euphémisme - assez brutale.
Le Parquet Financier dispose de toutes ces informations (Courrier du Juge Renaud Van Ruymbeke 1.9.2015) Pourquoi ne lance-t-il pas l’instruction ? En raison de la prescription pénale des faits ? Quelle date doit être retenue pour faire courir la date de départ de la prescription des faits, celle des faits ou celle à laquelle ces faits sont apparus ?
Faut-il dissimuler plus longtemps les responsabilités impliquées dans ce désastre et lancer l’exploitation d’un dispositif nucléaire défaillant dont personne ne peut évaluer les conséquences en cas de fissure du réacteur dont l’hypothèse n’est pas à écarter ?
La réponse est dans la question
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