Les hoquets de la crosse
Au moment où s’éloigne la double menace de succomber à la fièvre cet hiver et de griller sous le soleil dans trente ans, le premier réflexe est le lâche soulagement : chic, continuer encore un peu à expectorer sans se laver les mains et à cracher du carbone dans les parties communes ! Mais passé ce premier moment joyeux, il est à craindre que le malade imaginé ne retourne contre les auteurs du diagnostic une colère proportionnelle à son angoisse, alors qu’il devient évident qu’on a quelque peu exagéré sa courbe de température.
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Ainsi, nous aurons eu le privilège de voir se mettre en place, en quinze ans, une mythologie de la culpabilité dont l’élaboration, d’ordinaire, prenait à l’humanité quelques siècles. A la place de Jésus sur son nuage, nous avons assisté, béats, à l’assomption du gros Gore sur son élévateur, payant de sa personne pour illustrer de manière spectaculaire, dans son film "Une vérité qui dérange", la fameuse courbe en crosse de hockey. Laquelle a désormais de bonnes chances de finir, pendue la tête en bas, au musée des exponentielles foireuses.
Il n’est donc pas inutile de s’interroger, à ce stade, sur les immanquables retours de crosse, à l’encontre de ceux qui l’ont maniée avec le plus d’agilité : scientifiques, politiques et moralistes.
La science sait depuis longtemps qu’elle a des limites : conceptuelles, mais surtout budgétaires. L’homme de la rue ne le sait pas. De même elle sait qu’elle ne maîtrise que les phénomènes locaux, isolables, pas trop loin de l’équilibre. L’homme de la rue pense que si des super-cerveaux (Galilée, Newton et Einstein) ont réussi à prédire les mouvements des étoiles, armés seulement d’un crayon et d’un calepin, que ne pourra faire l’intelligence humaine assistée de ses super-ordinateurs ? D’ailleurs, nous avons déjà réussi à grimper jusqu’à la Lune. Cette infaillibilité de calcul que nous a prouvée Apollo, chacun sait qu’il la possède désormais, centuplée, dans son iPhone. Et la méteo du prochain weekend se révèle de plus en plus exacte.
L’ironie veut que le réchauffement climatique travaille la vieille carcasse de la science juste là où elle dissimule ses douleurs articulaires. Elle affectionne les ballades lentes dans des prés bien carrés, il la force à enjamber les barbelés entre les continents, entre les disciplines. Elle aime les phénomènes reproductibles et les données propres, il l’oblige à touiller des archives peu ragoutantes, avec lesquelles elle devra nourrir tout un troupeau de modèles numériques : gosses bêtes sympathiques qui restituent dans leur lait, avec une honnêteté parfaite, les arômes des fourrages qu’on leur a fait ingurgiter. Toute la question se réduit donc, non à la performance cumulée de ces multiples estomacs, mais à l’alimentation qu’on leur donne. Pour suppléer une herbe un peu pauvrette, il n’est pas criminel de forcer un peu sur les granules. Et de rajouter quelques données dans une série chronologique incomplète.
Les experts ont toujours su aguicher par des courbes affriolantes les décideurs, autre genre d’experts, mais contrariés. Ces exhibitions avaient lieu jusqu’ici entre soi, dans des salons feutrés : au mieux laissait-on entrevoir de temps en temps au populo la croupe d’une sinusoïde alanguie. Avec la question climatique, pour la première fois les courbes sont lâchée dans la rue, se montent les unes sur les autres dans des copulations multicolores, prennent à témoin tout un chacun : la courbe du CO2 ne colle-telle pas merveilleusement à la courbe des températures ?
Le retour de crosse à prévoir : évidement un discrédit durable jeté, par le mauvais usage des outils, sur la méthode scientifique dans son ensemble. Et le retour du terme "simulation" à son acception la plus péjorative de simulacre, de singerie.
Le bon côté des choses : pour les futurs étudiants, l’affaire du réchauffement anthropique fournira un inépuisable répertoire de cas d’école sur les biais méthodologiques, les extrapolations acrobatiques, les phénomènes d’auto-persuasion, les arguments d’autorité, et l’inconscience des limites.
L’art d’enfourcher le mauvais cheval
Passé l’inconvénient initial de devoir apprendre quelques mots nouveaux, les politiques ont vite compris que cette histoire de carbone allait leur permettre de renouveler à peu de frais leur "logiciel" (le nouveau mot pour "propagande"). Pour tout animal politique muni d’un flair, le CO2 dégage en effet de succulentes effluves : un paramètre unique, facile à caser dans une petite phrase ; un produit qu’il est impossible de ne pas produire, et qui touche miraculeusement tous les besoins primordiaux : se nourrir, se chauffer, se déplacer. Depuis la "valeur ajoutée", on n’avait pas découvert une assiette aussi universelle, source d’impôts indirects indiscutables, et prometteuse de flicages non pas imposés, mais réclamés par les contribuables eux-même ! Quel coupable ne s’est pas précipité sur le Net pour faire son bilan carbone ? Sans compter ce nouveau marché de la rédemption, assez comparable à celui des indulgences papales, qui consiste à échanger des kilomètres d’hélico contre des kilomètres-carrés de haricots.
C’est pourquoi la montée en ligne du GIEC s’est accompagnée de l’hymne à la démocratie qui prélude à toute bataille suspecte : impossible de mettre en cause l’infaillibilité d’un conclave de dizaines de milliers d’experts, tous mus par des intérêts supérieurs tels les curés, les évêques et cardinaux de l’église apostolique et romaine (ces autres experts des fins dernières en voie de disparition, dont l’indépendance d’esprit est restée légendaire).
Le retour de crosse à prévoir : un nouvel accès de suspicion envers les politiques, et la paralysie des instances internationales. Dommage, à un moment où, justement, toutes les vraies menaces sont planétaires.
Le bon côté des choses : le citoyen prend avec bonne humeur les taxes et lubies pharaoniques, pourvu qu’elles fassent pschitt avant d’avoir touché leur portefeuille.
L’art d’achever le pot de confiture
Si vous prenez votre rejeton en train d’engloutir la totalité du pot de confiture, vous lui reprocherez de ne pas en laisser pour ses frères et soeurs (ce qui ne lui fera ni chaud ni froid), ou lui ferez remarquer qu’il n’en aura plus pour demain (ce qui le fera plus ou moins réfléchir). Face à la question de l’épuisement du pétrole, les moralistes n’ont pas la tâche aussi aisée : il faudrait reprocher au père d’avoir fait main basse sur la nourriture de ses descendants, non pas une nourriture superflue comme la confiture, mais la nourriture de base, absolument indispensable à l’économie familiale. Avec la circonstance aggravante que la prochaine livraison, au grand supermarché de la nature, n’est pas attendue avant quelques millions d’années.
Devant ces difficultés, on comprend que les moralistes aient cru bon d’édulcorer le discours. Plutôt que de rappeler le fric-frac sur la confiture et de préparer le glouton à s’en passer, ils pointent l’hyperglycémie qui monte, le diabète qui couve, et les bienfaits d’une alimentation verte. Tant pis si l’excès de sucre ne cause peut être pas le diabète et si c’est plutôt l’inanition qui menace. S’il faut un principe supérieur pour retenir un peu l’index sur le pistolet de la pompe, va pour la peur du CO2. La fin justifie les moyens, l’important est que l’humanité mange moins (et de préférence les derniers arrivés au festin, pour qui la désaccoutumance sera moins rude).
On comprend qu’une culture dont l’éthique est "Croissez et multipliez" ait quelques réticences à clamer "Stabilisez et partagez". C’est donc bien légitimement que nous stigmatisons l’Inde pour sa boulimie d’eau glaciaire et la Chine pour ses centrales au charbon, deux pays à la vue courte, autoritaires, malthusiens, les seuls à avoir mis en place des politiques chimériques de contrôle de la natalité. Au moins les continents que nous influençons encore, l’Afrique, l’Amérique du Sud, sont-elles préservées des solutions douteuses que sont les préservatifs et les contraceptifs à bas prix. Une civilisation capable de maîtriser la fusion nucléaire (d’ici quelques années tout au plus) tout en construisant à tout de bras des éoliennes et des puits à carbone, ne va pas perdre son temps et son argent à distribuer capotes et pilules ! Toutes les espèces animales possèdent des mécanismes leur permettant de réguler leur population (celles qui n’en avaient pas ont disparu) : c’est bien la preuve que l’Homme, dans sa Glorieuse Exception, ne doit surtout pas s’en servir.
Le retour de crosse à prévoir : la méfiance généralisée envers les grandes causes soutenues par les puissances morales, le repli paniqué sur les solutions égoïstes (je finis au moins ma part de gâteau).
Le bon côté des choses : si la vérité est rarement définitive, heureusement l’erreur ne l’est pas non plus.
Les hoquets du capitalisme de simulation
En général, les scientifiques se plantent quand ils s’instituent moralistes. Encore pire si les politiques les approuvent ! Nous pouvons nous estimer heureux d’avoir évité, jusqu’ici, la bulle papale ou la fatwa sur le carbone.
De même que l’affaire Lyssenko représente l’apogée et la fin du matérialisme dialectique, il est à craindre que la croisade contre le CO2, plus la panique H1N1, plus les bulles financières qui explosent aussi vite qu’elles se forment, ne représentent les hoquets terminaux du capitalisme de simulation, celui des vessies virtuelles et de l’exploitation réelle.
Il est significatif que la portion non-biblique de l’humanité n’ait goûté que du bout des lèvres la ratatouille planétaire que nous lui avons concoctée, en mélangeant les ingrédients les plus efficaces de notre imaginaire occidental : la fonte des glaciers, symbole de la perte de l’innocence originelle, avec l’élévation du niveau de la mer, dont chacun sait depuis la Génèse qu’elle punit le péché d’orgueil. Les tonganais perchés sur leurs ilôts de corail, avec les passagers de l’Arche coincés sur le mont Ararat. Le dernier ours blanc sur le dernier morceau de banquise avec la petite Sirène sur son rocher, dont le chant désormais est devenu le symbole, non d’une vérité qui dérange, mais d’une vérité qui plonge.
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