Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées
Affligeante marche en arrière dont sont complices certains magistrats qui participent à leur manière au sabordement du socle commun de nos valeurs républicaines.
Ne plus être vierge pour une femme risque de rendre en France très aventureux tout projet de mariage depuis que la justice française s’en est mêlée.
Les faits
Un homme d’une trentaine d’années, ingénieur, et une femme se sont mariés le 8 juillet 2006. La fiancée avait affirmé à son futur époux qu’elle était vierge. Or, dans la nuit qui a suivi la cérémonie, vers quatre heures du matin, elle a reconnu devant ses proches qu’elle n’était en fait plus vierge.
Le père du jeune marié a alors reconduit manu militari la jeune épouse chez ses parents en estimant que sa famille avait été « déshonorée ».
La séparation a été décidée par l’époux dès le lendemain et il a assigné en justice son épouse le 26 juillet 2006.
Au lieu de demander un divorce par consentement mutuel, l’époux a en effet préféré demander l’annulation du mariage. Selon l’avocat du marié, Xavier Labbée, « le divorce sanctionne un manquement aux obligations issues du mariage. Je dois fidélité à mon épouse, je trompe mon épouse, donc celle-ci divorce. Ici, il y a un vice dès le départ ».
Le jugement
En avril 2008, le tribunal de grande instance de Lille a donc annulé le mariage en estimant que l’époux l’avait conclu « sous l’emprise d’une erreur objective » (celle de ne pas savoir que la mariée n’était pas vierge), une erreur qui a été « déterminante dans son consentement ».
La décision du tribunal s’est fondée sur l’article 180 du Code civil qui stipule que « s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage » dans un délai de cinq ans.
En ce sens, les juges ont pris acte que la virginité de l’épouse était une « qualité essentielle » pour le marié.
L’avocat du mari trouve donc la réponse judiciaire d’autant plus logique (« parfaitement logique ») que « l’épouse a reconnu qu’elle avait menti ».
Philippe Lemaire, le procureur de la République de Lille, a estimé que le jugement était « assez conforme à la jurisprudence classique » tout en insistant sur le fait que les deux époux étaient d’accord. Il n’y aura donc probablement pas appel du jugement. Selon lui, « c’est le mensonge qui motive la décision du juge », reconnaissant cependant que le thème de la virginité « focalise un peu le débat » alors que « la question, ce n’est pas la virginité, c’est la liaison qu’elle a eue avant et qui a été cachée ».
Notons enfin que, pour des raisons de publicité personnelle (?), c’est Xavier Labbée qui a rendu publique la décision du tribunal ce 29 mai 2008.
Les réactions
Apparemment, selon la Chancellerie, il n’y a encore jamais eu d’annulation de mariage pour mensonge sur la virginité de l’épouse, mais des annulations pour mensonges sur « des éléments de personnalité » d’un des conjoints.
Parmi ces « erreurs », il y a la découverte après mariage que le conjoint est divorcé, ou qu’il a menti sur sa nationalité, qu’il a fait l’objet d’une mesure de curatelle, ou encore qu’il n’est pas apte à avoir des relations sexuelles normales (impuissance sexuelle ?).
Xavier Labbée rappelle que l’exemple donné aux étudiants est « le fameux arrêt Berthon qui date de 1868 » à propos d’une épouse qui n’avait pas su que son mari avait fait de la prison. Il insiste en affirmant également qu’il « faut ramener la question au mensonge. La solution aurait été la même pour quelqu’un ayant (…) caché quatre pages de casier judiciaire, le fait d’avoir déjà été plusieurs fois marié ou de s’être prostitué ».
Les réactions à ce jugement sont quasiment unanimes dans le sens d’un profonde indignation : Jacques Myard, député UMP, considère la décision « choquante [qui] avalise un intégrisme archaïque », le PS la trouve atterrante car elle « bafoue le droit des femmes à disposer de leur corps et à vivre, librement, comme les hommes, leur sexualité » et les communistes la qualifie de « scandaleuse ».
Sur France Inter, la philosophe Élisabeth Badinter est très inquiète et honteuse de la justice : « Je suis ulcérée par la décision du tribunal d’accepter de juger ça parce que la sexualité des femmes est une affaire privée et libre en France, absolument libre. » en ajoutant, en pensant à l’épouse répudiée : « Et je vous dis franchement, je pense à cette malheureuse jeune fille, humiliée, publiquement humiliée, revenant dans sa famille, ce qu’elle a dû vivre a dû être épouvantable. J’ai honte que la justice française n’ait pas pris à cœur de défendre toutes ces jeunes filles. ».
Les scandales
Faut-il se joindre à tous ceux qui aboient contre ce jugement ?
Pour ma part, oui, car tout y est scandaleux, et, disons-le, puant.
1. La pureté de l’épouse
C’est très ancien de vouloir que son épouse soit vierge (pure), mais pourquoi la question n’a-t-elle pas été retournée sur la virginité de l’époux ? Cette différence d’appréciation montre un machisme extraordinaire, une discrimination qui ne devrait plus être observée aujourd’hui.
2. La non-virginité comparée à un délit
Si la décision du juge est scandaleuse, les explications de l’avocat du marié sont encore plus affligeantes. Pour expliquer le jugement, il affirme que l’issue aurait été la même si le marié avait caché qu’il avait été en prison ou s’était prostitué ou était polygame… Comme si l’absence de virginité de l’épouse était un délit !
3. Qui prouve que c’était une qualité essentielle ?
La décision n’a été fondée que sur le témoignage (commun) des deux époux, pour quatre faits non vérifiés (et non vérifiables ?) : premièrement, que l’épouse n’était pas vierge ; deuxièmement, que la virginité était un élément majeur pour le mari dans le choix de se marier ; troisièmement, que l’épouse le lui a caché ; quatrièmement, qu’elle n’était effectivement plus vierge au moment du mariage.
À ma connaissance, aucun certificat d’aucun gynécologue n’a été établi. Ne serait-ce pas là simplement un accord entre époux pour tout simplement tromper la justice et annuler un mariage pour convenance personnelle ? Un précédent inquiétant dans tous les cas.
On sait que le juge ne prend pas pour argent comptant les personnes qui s’accusent d’elles-mêmes de certains délits ou crimes, sans que leurs déclarations ne soient pas validées par des faits fiables et prouvés.
4. La vie sexuelle, une affaire privée
Si l’infidélité conjugale est considérée comme une faute (dans le cadre du mariage donc), une relation sexuelle avant le mariage ne peut évidemment pas l’être. Tout le monde est prisonnier de son passé qu’il ne peut effacer. Et, surtout, ce passé ne regarde que la personne elle-même et personne d’autre, pas même un futur conjoint.
De quoi se mêle la justice et, donc, la société, pour une affaire purement privée et intime ?
5. Le mensonge comme cause d’annulation de contrat
Il est vrai que lorsqu’une des deux parties a été sciemment trompées dans un contrat, elle peut demander annulation du contrat. C’est le cas dans les contrats commerciaux, quand, par exemple, le vendeur promet à l’acheteur des prestations qu’il ne peut assurer.
Mais si le mensonge n’est, d’une part, pas prouvé de manière factuelle et, d’autre part, porte sur des aspects secrets, privés de la vie, le juge doit-il s’immiscer dans l’intimité des personnes ou simplement rester neutre ?
Et où est-il dit que le mensonge entre époux est une faute ? (Même si moralement, c’est évidemment regrettable).
Notre justice s’américaniserait-elle ? On se souvient qu’en 1998 la cause principale du scandale sexuel de Bill Clinton n’a pas été sa liaison extraconjugale, mais le fait qu’il avait menti aux Américains en ayant nié les faits.
6. Et l’amour ?
Un autre élément frappe, car qui dit mariage, dit (mais c’est vrai que je suis un idéaliste !) quand même amour. Or, l’amour transcende toutes les caractéristiques de l’être aimé pour ne prendre en compte que la personne aimée globalement, souvent en gardant les qualités et en oubliant les défauts (défauts qui peuvent d’ailleurs resurgir par la suite).
Annuler un mariage pour absence de virginité, considérer cette qualité (d’être vierge) comme essentielle dans une relation amoureuse, c’est réduire la femme à n’être qu’un objet de désir sexuel, sans respect pour son être. Le mari veut se marier avec une vierge, pas avec elle. Elle n’est pas vierge ? Il va chercher ailleurs…
Étrange sentiment pour un mariage. Comme le disait l’avocat du marié, mais applicable au marié, il y a en effet « vice dès le départ ». Des mots forts d’ailleurs : virginité, c’est la vertu, absence de virginité, c’est le vice.
7. Enfin, la religion
Je l’ai gardé pour la fin car toutes les dépêches insistent lourdement dès le départ sur le fait que les deux protagonistes sont… des musulmans. Et alors ?
En quoi la religion est-elle importante dans une affaire de mariage civil ?
Serait-ce sous-entendre que, puisqu’ils sont musulmans, c’est normal de demander à l’épouse d’être vierge au mariage ? Qu’on peut comprendre le mari victime de cet horrible mensonge ?
C’est en tout cas ce que les juges laissent entendre, et c’est sans doute ce qui a de plus affligeant pour nos valeurs républicaines.
Scandaleux de laisser croire que la justice pourrait faire un compromis entre sa pratique du droit et un certain communautarisme religieux qui s’étend de plus en plus en France.
Nous sommes en République française, les lois républicaines s’appliquent à tous sans distinction de religion. Pourquoi puis-je savoir la religion musulmane de ces époux ? A-t-elle eu une influence auprès des juges ? Y a-t-il eu discrimination dans une part du jugement ?
Élisabeth Badinter a bien raison de s’emporter ainsi : « ça aboutit tout simplement à faire courir nombre de jeunes filles musulmanes dans les hôpitaux pour se faire refaire l’hymen. Et, par conséquent, au lieu pour un tribunal de défendre les femmes, de défendre ces jeunes femmes, au contraire, il accentue la pression sur elles. ».
Une pression encore plus inadmissible pour les jeunes femmes défavorisées vu le prix de l’opération (environ 1 000 euros selon France Inter).
Pas d’appel ?
Le pire, évidemment, c’est que la jeune épouse est consentante. Donc, elle ne fera sûrement pas appel du jugement qui, à mon sens, serait facilement remis en cause. Ni le parquet, si on en croit les déclarations du procureur de la République.
La virginité et la religion musulmane, voilà un cocktail explosif pour donner à cette histoire un fort écho médiatique. L’avocat du mari l’a d’ailleurs sans doute anticipé.
Si même des magistrats commencent à saper les valeurs fondamentales de notre République, comment peut évoluer notre société ?
La justice n’aurait jamais dû accepter de s’occuper d’une telle affaire.
Pourquoi le juge est-il omniscient et sacré dans notre société ?
Le droit à l’erreur n’est pas assez reconnu dans la société française qui pèche souvent par perfectionnisme. Mais inversement, certaines professions sont protégées de toute responsabilité lorsqu’il y a des erreurs commises.
Après les errements terribles dans l’instruction du procès d’Outreau, et ce jugement qui a été rendu par le tribunal de grande instance de Lille, rappelons que, comme tous leurs contemporains, les juges ne sont pas infaillibles ni exempts d’incompétence ou d’arrière-pensées.
Il est plus que temps, puisqu’on s’évertue en ce moment même à réformer le Conseil supérieur de la magistrature dans le cadre de la modernisation des institutions, de mieux encadrer la responsabilité professionnelle des juges et qu’en cas de dérives ou d’errements ils puissent rendre des comptes aux citoyens et à l’État.
Comme dans la plupart des autres professions.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 mai 2008)
Pour aller plus loin :
Dépêche AFP du 29 mai 2008.
Déclarations d’Élisabeth Badinter du 29 mai 2008.
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