Parle-t-on de « chirurgien-citoyen ? » demande-t-il en se moquant. Pourquoi donc des « journalistes citoyens » ?
C’est devenu un sport très couru dans les médias officiels de vilipender les rédacteurs sur Internet, qu’ils tiennent leur blog ou publient sur un journal en ligne comme AGORAVOX. Il y a eu récemment le pétard mouillé du docteur Laurent Joffrin diagnostiquant chez eux une « média-paranoïa ». On a dit ce qu’on en pensait (1). C’est au tour du Monde.fr de publier, le 6 mars dernier, un article d’un certain Xavier Ternisien : « Les blogs : info ou influence ? » Le dénigrement s’y poursuit par divers témoignages, de journalistes professionnels évidemment mais aussi d’ « agences de veille » dont le gagne-pain est de surveiller ce qui se dit sur Internet et d’en informer à leur demande des entreprises et des administrations.
Le mépris du blogeur
C’est au moins la preuve que cette nouvelle circulation de l’information est désormais prise au sérieux. Les blogeurs seraient deux fois plus nombreux que les journalistes avec cartes de presse. Il ne serait plus possible de les ignorer : ils en viendraient même à concurrencer les journalistes professionnels… dans l’accréditation auprès des institutions !
Il n’empêche qu’ils suscitent la moquerie : certains les appelleraient des « journalistes en pyjama » ! C’est drôle tout de même pour des gens qui, en général, comme l’article le reconnaît d’ailleurs, ne veulent surtout pas être confondus avec les membres de cette profession. Le nom de « journalistes citoyens » que certains revendiquent cependant, est en tout cas vigoureusement récusé par le vice-président de la Commission de la carte d’identité des journalistes, à en croire l’article du Monde : « Après tout, tonne-t-il, on ne parle pas de "chirurgien citoyen". Le terme de "citoyen" ne sert qu’à habiller une dévalorisation de l’information et une précarisation de la profession. »
« La relation d’information », une pratique quotidienne de chacun
C’est vrai, ça ! Pourquoi ne parle-t-on pas de « chirurgien-citoyen » ? Il ne vient pas à l’idée de ce journaliste indigné que le métier de chirurgien implique une expertise spécifique qui exige un long apprentissage, mais qui ne fait pas partie des compétences générales nécessaires à un citoyen. Et c’est heureux que cette pratique n’interfère pas dans le quotidien de chacun, sinon la vie ne serait pas drôle s’il fallait jouer chaque jour du scalpel !
Peut-on en dire autant de « la relation d’information » ? Même si elle fait l’objet d’un apprentissage spécifique pour son traitement par les médias de masse, elle s’impose à tout citoyen qui se trouve contraint sur le tas, par essais et erreurs, depuis l’enfance, sinon de la maîtriser, tant s’en faut, du moins d’en user pour assurer au minimum sa survie. Voilà pourquoi, s’il n’est nul besoin de pratiquer quotidiennement la chirurgie et qu’il suffit en cas de nécessité de s’en remettre à un chirurgien, il n’en va pas de même de « la relation d’information » qui se vit quotidiennement puisqu’elle structure les échanges de la vie sociale.
Une mythologie édifiante de la profession
Le paradoxe est que l’apprentissage du noble métier de journaliste s’accommode d’erreurs grossières qu’une pratique quotidienne de « la relation d’information » ne peut tolérer. Quand donc ces journalistes professionnels, indisposés par ces amateurs en ligne, finiront-ils par s’en rendre compte ? Jamais sans doute, car ils sont prisonniers d’une mythologie qui leur est inculquée depuis toujours, à l’école comme dans leur formation professionnelle. Ils croient en retirer un crédit, alors qu’ils font candidement aveu de naïveté, ou, pis, de duplicité.
Il est encore plus étonnant qu’ils reçoivent le renfort de ces agences de veille dans la diffusion de ces erreurs. Ainsi s’exprime, par exemple, le directeur associé de l’agence Human to Human dont le nom en sabir anglo-américain est à lui seul la signature d’une frime toute médiatique : « (La) pratique (des blogueurs) est fondamentalement différente de celle des journalistes, prétend cet agent. Ils ne respectent pas les trois piliers du métier que sont la distanciation, l’objectivation et le recoupement des sources. Ils sont dans une subjectivité totale par rapport à leur sujet. »
Rappel de quelques rudiments méconnus des journalistes professionnels
On est peiné de devoir rappeler à ces professionnels de l’information, pourtant si sûrs de leur savoir, quelques rudiments de « la relation d’information ».
1- D’abord, seule « une représentation de la réalité » est accessible aux travers des médias personnels (cinq sens, mots et images, etc.) et de leurs prothèses que sont les médias de masse. Quelque « distanciation », « objectivation » ou « recoupement des sources » qu’on puisse opérer, on ne rapporte jamais du « terrain » sur lequel on s’est rendu, qu’une « carte » plus ou moins fidèle à la réalité.
2- Ensuite, « distanciation », « objectivation » et « recoupement de sources » ne sont rien face à la contrainte d’airain des motivations de tout émetteur que peut résumer le principe suivant : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Voilà pourquoi tant d’informations restent secrètes et que d’autres sont volontairement diffusées.
Un exemple du jour ? M. Cluzel, président de Radio France qui aimerait tant se succéder à lui-même en mai prochain pour un nouveau mandat, vient, dans une interview au Figaro.fr du 11 mars 2009, de prendre ses distances avec Stéphane Guillon dont on sait que sa chronique sur DSK a déplu au président de la République… lequel malheureusement nomme désormais les présidents de l’audiovisuel public : « L’impertinence (…), a-t-il déclaré, est aussi une vieille tradition à Radio France. Je n’ai pas l’idée de briser cette tradition. Ça ne veut pas dire que je sois d’accord avec toutes les expressions de cette impertinence. Dans impertinence, il y a pertinence. Quand la pertinence manque à l’impertinence, le rire ne fait plus rire. Je ne voudrais pas que cela arrive à Stéphane Guillon, qui a par ailleurs du talent. Tous les combats de ma vie vont vers le respect de la différence et de la vie privée. Je ne suis pas heureux quand une personne est blessée. »
N’est-ce pas un désaveu ? M. Cluzel n’envoie-t-il pas un gage de repentance à son suzerain ? M. Guillon ne doit-il pas s’attendre à faire ses valises, puisque le président de Radio-France vient de le lâcher ? Or qui a été "impertinent" dans l’affaire ? DSK qui a abusé de sa fonction pour imposer une relation sexuelle à une de ses employées ou S. Guillon qui a choisi, à la Molière, de ridiculiser le vice du harcèlement sexuel au travail ? « Car on veut bien être méchant, dit Molière dans la préface de « Tartuffe », mais on ne veut pas être ridicule ». M. Cluzel, lui, ne peut le dire sans compromettre ses chances de nomination, s’il y croit encore. Et Le Figaro a choisi volontairement de lui offrir sa tribune pour se défendre, alors qu’il pouvait s’en abstenir !
3- Aussi reste-t-on songeur devant le titre qu’en 2009, un journaliste du Monde ose encore donner à son article, avec une belle allitération en « inf » pour rapprocher les deux mots sans les confondre : « Les blogs : info ou influence ? ». Il prétend ainsi naïvement que les blogeurs, à la différence des journalistes professionnels, ne font pas de l’information mais visent seulement à exercer une influence. Eh oui, on a appris aux malheureux journalistes qu’il existait une information qui n’influence pas ! On leur serine depuis toujours à bien faire la différence entre « journal d’information » qui n’influence pas, et « journal d’opinion » qui influence, à distinguer également « l’information » qui n’influence pas, du « commentaire » qui influence, et à croire à l’existence d’ « un discours informatif » qui n’influence pas !
Il ne faut avoir aucune idée de « la relation d’information » pour admettre ces erreurs. Toute information, qu’elle soit livrée ou qu’elle soit gardée secrète, influence ! On a souvent fait référence au secret gardé par le Président Mitterrand sur son cancer en 1981, et qui a eu pour influence de lui permettre de se représenter en 1988 à l’élection présidentielle sans s’exposer au doute de ses adversaires. Tout comportement influence autrui, qu’on parle ou qu’on se taise ! Dès lors « un journal d’information » exerce une influence en dissimulant son opinion quand, au contraire, « un journal d’opinion » le fait en l’exhibant. Quant à la distinction de « l’information » et du « commentaire », elle est rigoureusement impossible, comme le prétendu « discours informatif », ne serait-ce que parce le seul fait de livrer volontairement une information revient à l’assortir du commentaire implicite suivant : livrée volontairement car jugée utile de l’être ou du moins non nuisible aux intérêts de l’émetteur ! Et inversement si l’information est gardée secrète !
La machine médiatique à ressasser les mêmes erreurs n’est pas près de s’arrêter. La profession journalistique angoissée voit encore, en effet, dans l’incessante promotion de sa mythologie édifiante qui l’a pourtant naufragée, une chance de salut. Il faut donc aussi inlassablement lui répéter qu’elle se trompe. Sa conduite elle-même dément d’ailleurs ses coyances. Car que cherche à faire ce journaliste du Monde en titrant son article, « Les blogs : info ou influence ? », sinon à influencer ses lecteurs et à leur faire croire qu’un journaliste peut livrer des informations sans influencer ? Tant d’obstination dans l’ignorance – ou la duplicité - commence à devenir pathétique. Paul Villach
(1) Paul Villach, « Média-paranoïa » de Laurent Joffrin, ou l’injure comme aveu d’impuissance », AGORAVOX, 5 février 2009.
« Laurent Joffrin sur Radio Suisse Romande : le doute jeté sur la version officielle du 11 septembre 2001 serait une sorte de négationnisme ! », AGORAVOX, 27 février 2009.
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