De la terre à l’assiette

Manger des légumes, une escalope, un yaourt… représentent le stade ultime de l’intervention de multiples acteurs aux motivations parfois contradictoires et intéressées.
Du paysan à l’étal des supermarchés
Au début, il y a le paysan. Il aime son métier, mais les conditions dans lesquelles il l’exerce parfois (agriculture intensive, prix payé, poids du lobby agricole…), en font le maillon faible de la chaîne, celui qui subit, fait ce que la coopérative agricole lui demande, s’enferme dans des pensées négatives, l’œil rivé sur sa comptabilité, celui qui est tributaire pour son cheptel de fabricants d’aliments ou des pesticides pour ses cultures.
Certains s’en sortent mieux parce qu’ils ont adapté leurs modes de production vers le vertueux ou d’autres se sont reconvertis : 12 % des producteurs sont aujourd’hui dans le Bio. Les deux sont moins dépendants du système et privilégient souvent les circuits courts, dessinant ainsi les contours d’une nouvelle agriculture, moins productiviste, plus rémunératrice et indépendante du système bancaire, coopératif et de l’industrie agro-alimentaire.
L’industrie agro-alimentaire vise la régularité et la quantité pour faire tourner ses chaînes quitte à fermer les yeux sur les méthodes de production ou bien à importer des produits bruts avec comme objectif le prix final qui sera payé par la grande distribution, l’acteur incontournable, dont la tendance à fermer les yeux sur « l’amont » peut parfois interroger. C’est au niveau du « couple » agro-alimentaire/grande distribution que la tragédie des petits exploitants trouve son expression la plus éclatante : aucune indépendance pour le producteur.
Enfin, il y a les marques, toujours en recherche de concepts marketing, qui récupèrent le bio ou, en « entreprises responsables » nous parlent « d’agriculture régénératrice », bref tout ce qui peut augmenter les dividendes, assurer des positions prépondérantes sur le marché en rassurant le consommateur...
Un système bien verrouillé
Tout contribue à ce que celui qui travaille la terre, qui élève son cheptel, soit le moins bien considéré. On reproduit à l’intérieur de nos frontières le système qui consiste à faire produire par des petites mains sous payées en Asie ou ailleurs des produits manufacturés qui seront revendus avec une marge conséquente en France. Chapeau, les artistes !
Au passage, les conseillers des coopératives ou de la Chambre d’Agriculture viennent « aider » l’agriculteur en détresse : produire davantage grâce aux pesticides qui tuent les abeilles ou augmenter la taille des élevages et la pollution qui va avec ou bien se lancer dans la méthanisation pour avoir des revenus annexe. Les algues vertes se portent bien en Bretagne, merci, malgré l’argent mis par les communes pour l’enlevage et le traitement et grâce à la politique faux-cul des gouvernements successifs. Quant à la méthanisation, contestée et sujette à caution ou bien encore l’éolien, l’impression que cela donne c’est qu’on oriente peu à peu les agriculteurs vers ces nouvelles pistes de revenus uniquement pour préserver le système de distribution à bas prix de revient mais à forte marge dans La grande distribution.
Le système bien verrouillé est parfaitement décrit à l’échelon de la Bretagne dans la bande dessinée d’Ines Léraud et de Pierre Van Hove (« Algues vertes, l’histoire interdite »). Les interactions entre politiques, services de l’Etat industrie agroalimentaire, grande distribution, banques et lobbies divers et variés y est très bien décrit (y compris les intimidations). Tout est fait pour enterrer les problèmes, ou décourager les gêneurs.
La question ne concerne pas que les agriculteurs
L’agriculture, mais aussi toute la société, se trouve aussi au carrefour de nombreux défis.
- Comment préserver les terres agricoles en maîtrisant l’étalement urbain et se loger décemment, sans obérer la qualité de vie des habitants ? Dans les territoires à proximité des métropoles notamment (mais pas que…) on assiste à une politique de densification de l’habitat et de maîtrise de l’accès aux véhicules destinée en partie à maintenir les espaces cultivés en périphérie. Les réponses ne sont pas toujours à la hauteur s’agissant de la qualité de vie, des alternatives aux déplacements par des moyens collectifs en sites propres. Enfin, la question est de savoir s’il faut absolument préserver des terres agricoles polluées aux pesticides (avec les répercussions sur le vivant et la qualité de l’eau) sachant que les espaces cultivés en bio représentent moins de 10 % des terres concernées.
- Comment freiner l’utilisation des terres pour des infrastructures commerciales ou des routes qui ne feront qu’accroitre les émissions de CO2 ? Autrement dit, comment éviter de construire des centres commerciaux en périphérie ou des entrepôts Amazon (parce que c’est bon pour l’emploi…), les routes et les rondspoints qui vont avec (parce que c’est de l’investissement pour les entreprises…) ? Les variables d’ajustement sont connues : fermetures des commerces de centreville et construction de quartiers périphérique sans âme avec problèmes sociaux inévitables. L’Etat, véritable serpent qui se mord la queue, donne de l’argent à ces bons élus locaux pour les aider à revivifier leurs centres villes après les avoir vidés avec ce système…
- Comment préserver l’environnement et la biodiversité, indissociables de la santé, en continuant à utiliser des pesticides ? Le glyphosate dont l’utilisation semblait décroitre a connu une hausse de ses ventes de 42% entre 2019 et 2020. Tout est dit !
- Comment raisonner autrement que par le concept techno de « chaînes de valeur » et de profits lorsque la planète et ceux qui travaillent sur le vivant ne sont pas considérés ? Les producteurs bio ou ceux qui font le choix de la production locale pour les cantines ou les particuliers au sein d’AMAP par exemple offrent une alternative pour sortir du système verrouillé, mais ils sont encore trop peu nombreux pour déstabiliser l’organisation actuelle et ont du pain sur la planche pour combattre les acquis de certains adeptes de cette fameuse mondialisation heureuse qui ne raisonne que par les profits.
Se nourrir et surtout bien se nourrir et répondre à ces questions sur le bien vivre relève de notre responsabilité collective et nécessite un débat ouvert en dehors de toute influence de la part de ceux qui privilégient le court terme.
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