Apparition du vivant : Que sait-on au juste ?
Pour une écrasante majorité de biologistes, tout repose sur un ancêtre commun entre les différentes formes de vie actuelles, des bactéries aux champignons en passant par nous. Or, depuis les expériences de Pasteur qui ont battu en brèche le concept de génération spontanée, il faut trouver un scénario sur ce qui a bien pu se produire il y a environ 3,7 milliard d’année, voire davantage. Les hypothèses ne manquent pas à l’appel.
I La panspermie
Littéralement ce mot veut dire « graines partout », énoncé en premier par Anaxagore il y a 2500 ans (condamné plus tard pour impiété, il avait également énoncé que les astres dans le ciel n’étaient pas des Dieux mais des masses incandescentes), l’idée serait que la vie sur Terre serait littéralement tombée du ciel. Aussi farfelu que cela puisse sembler au premier abord, cette idée a été reprise par de nombreux scientifiques : Arrhenius, prix Nobel de Chimie en 1903, ou plus récemment Francis Crick (découverte de la double hélice ADN en 1953). Évidemment, ce malheureux ancêtre extraterrestre aurait surmonté de très nombreux obstacles : Accélérations fulgurantes, radiations spatiales, absence d’air et de pression (on oublie facilement les kilogrammes dont nous subissons la pression sur nos têtes !), voyage très long, sans oublier une fin en apothéose avec le réchauffement lors de l’ entrée dans l’atmosphère et l’impact sur le sol ! Alors que fait-on dans ces cas là ? Réponse : On prend des bactéries ou de petites bestioles que l’on pose avec ou sans protection minimale sur un support (plaque en acier, matériaux spéciaux...), on confie le tout à un astronaute qui ira leur faire faire un petit tour de manège au-dessus de nos tête, puis on compte les survivants. Résultats : certains organismes s’en tirent bien, surtout enterrés à quelques centimètres de profondeurs : Bacillus subtilis, Deinococcus radiodurans (photo d’une culture de Deinococcus réalisée par la NASA plus bas) ont une bonne résistance aux rayonnements, mais, plus extraordinaire, les tardigrades (sorte de petits acariens) ont aussi d’excellents résultats. Ainsi certaines personnes font subir des tortures inimaginables à ces bestioles dont les défenseurs des animaux se moquent totalement : chauffées à 100°C, soumises à de fortes accélérations, à d’importantes quantités d’UV et ainsi de suite.
En même temps, on calcule les probabilités qu’un caillou venant d’une autre planète adéquate tombe sur Terre sans se désagréger complètement ; Parmi ces candidates on a : Vénus, Mars, Europe (satellite de Jupiter) et Titan (Satellite de Saturne). Évidemment, on prend en compte l’état hypothétique des planètes/satellites il y a quelques milliards d’année, et leur composition chimique (méthane, dihydrogène, soufre et autres composés a priori irrespirables étant un bonus important, pas besoin d’une atmosphère ressemblant à celle de la Terre actuelle, au contraire). Les probabilités montrent que les roches éjectées de l’un de ces corps ont tendance à aller vers le Soleil plutôt que l’inverse et à être attirées par les corps de grandes tailles comme Jupiter en chemin (j’espère que je ne vous apprends rien de nouveau ici). Donc Mars se retrouve encore une fois comme la candidate la plus probable.
Qu’est ce qu’on fait maintenant ? Une équipe a analysé des nakhlites, des roches arrachées par un astéroïde ou une comète à Mars : Très anciennes (ayant atterri en 1911, elles auraient été éjectées il y a 1,3 milliards d’années) elles se sont échauffées d’une centaine de degré au maximum et n’auraient pas été soumises à des ondes de choc de forte pression. Certains planétologues pensent qu’une petite partie des roches catapultées hors de Mars l’auraient été sans dégagement de chaleur. Une autre équipe montre qu’une roche martienne sur dix millions met moins d’un an à tomber sur Terre et que trois ans après le départ de Mars, dix roches de cents grammes parviennent au bout du voyage.
Et à défaut de vie emballée sous vide déshydratée à réchauffer selon le mode d’emploi, ces roches peuvent avoir apporté des molécules prébiotiques ayant servi à l’apparition de la vie sur Terre. Ce qui complèterait à merveille le scénario suivant. De toute façon, si on imagine que la vie est arrivée toute faite d’ailleurs, cela pose un souci : Nous n’aurons fait que déplacer le problème. Le gros avantage de ce scénario est de pallier à l’absence de certaines molécules indispensables. (pour l’instant... Car les choses peuvent encore changer énormément !)
II Soupe primordiale : La cuisine moléculaire à côté, c’est du flan (mais ça, on savait déjà)
Reprenons les ingrédients nécessaires à un organisme vivant de nos jours : des lipides, pour la paroi cellulaire, des acides nucléiques, qui formeront des nucléotides avec du sucre et du phosphates, qui eux même formeront de l’ADN et de l’ARN, des acides aminés pour former les protéines aux fonctions les plus diverses : enzymes, transports membranaires, squelette cellulaire, etc. Ça fait beaucoup de chose et comme n’importe quel fana de Rolex pourrait le faire remarquer : Je ne paie pas ma montre vingt mille euros si elle pousse toute seule sur un arbre ! (Quoique, vu la logique de la mode écolo, je suis sûre que ça vaudrait super cher une montre pareille, et je ne vous parle pas de la plus-value car il n’y a plus besoin de salariés ni rien. Les économistes expliqueront ça mieux que moi.) Déjà, plantons le décor : C’est un exercice difficile car on ne connaît pas avec précision des choses essentielles comme la pression atmosphérique, la température, la quantité d’UV atteignant le sol, ou la composition de l’atmosphère. On s’en fait une idée en analysant les roches les plus anciennes, le magma des volcans ou les météorites oui, mais ce n’est pas forcément suffisant. Enfin, faisons quand même avec. 1953 ; Stanley Miller, jeune chercheur dans le laboratoire d’Harold Urey, travaille sur une hypothèse de son boss : Les éléments nécessaires à l’apparition de la vie sur Terre se trouvent dans son atmosphère primitive. Stan fait donc sa popote avec les ingrédients de son époque : de l’eau, du méthane, de l’ammoniac, du dihydrogène (ouais, ça sentait pas bon sur Terre à l’époque) puis il fait bouillir le tout en compagnie d’arcs électriques afin de simuler des éclairs : Et là, Bingo : il obtient après quelques semaines de ce régime des acides aminés simples. Ça y est, on a la soupe primordiale. Et c’est chouette. Sauf que les critiques sont nombreuses : On peut chicaner longtemps sur la composition des gaz, mais surtout, tous les composés nécessaires n’y sont pas. Et les gens cultivés (ou qui ont lu attentivement la première partie de cet article, ça marche aussi) noteront que 1953, c’est aussi l’année de la publication de l’article sur la découverte de la double hélice d’ADN. Bref, il faut AB-SO-LU-MENT des acides nucléiques. Et là, on est en rade. Zut. La soupière serait-elle vide ?
En plus, on a un autre problème sous le bras, dans la plus pure tradition de la poule ou l’œuf (enfin, ça, on a la réponse : C’est l’œuf évidemment, l’évolution a ça de bien qu’elle a répondu à cette grande question mais l’a remplacée par une autre du même tonneau, en pire) : Les protéines ou l’ADN ? Sans ADN, pas possible de fabriquer des protéines. Sans protéines, pas d’enzymes donc pas possible de répliquer l’ADN. Gloups.
Gardons ceci en mémoire et passons quand même au troisième scénario.
III Le monde ARN
L’ADN, je pense que maintenant tout le monde sait ce que c’est : Le machin qui permet de résoudre des tas d’énigme dans les séries policières, de regrouper les immigrants selon leur parenté et un bouc émissaire imparable pour tout les problèmes (Si mon fils est neuneu monsieur le professeur, c’est pas ma faute, c’est génétique ! Comment ça, vous le voyez ?). Plus sérieusement, l’ADN est fait de deux chaînes de nucléotides (un nucléotide c’est un acide nucléique + un sucre, le désoxyribose, + un phosphate organique), et code donc pour savoir si vous êtes pédophile ou pas (ah non, en fait là ça ne marche pas comme ça. Mais pour d’autres choses comme le nombre de bras ou de dents, là c’est nickel). L’ARN, c’est un peu son frère bâtard : un acide nucléique est différent (sur les 4 possibles), il est fait d’un seul brin, moins résistant, et chez nous il sert à transmettre les informations entre le noyau et le chaînes de fabrication des protéines. Si on était chez un fabricant de meuble suédois, l’ADN serait le manuscrit de montage d’un meuble et l’ARN le mode d’emploi distribué à tous les acheteurs. L’ARN est donc pareillement, un moyen de transmettre des informations en un peu plus simple. C’est bien, mais insuffisant.
1980 : Des chercheurs font une découverte inattendue mais passionnante ; L’ARN peut prendre toutes sortes de formes (laissez cinq minutes un enfant de 4 ans jouer avec un collier magnétique : S’il ne s’étrangle pas avec, il aurait certainement réussi néanmoins à faire pleins de nœuds). Et ces formes pas du tout linéaires, permettent d’avoir un site actif, c’est-à-dire un endroit qui va s’adapter à la forme d’une autre molécule et de là, éventuellement, selon les cas, lui faire des trucs (ajout de fonctions, coupure, transformation, etc.). Bref, l’ARN se comporte aussi comme une enzyme. Qui sont généralement des protéines. Mesdames, Messieurs, je vous présente le mode d’emploi du meuble suédois et le meuble télé qui va avec réunis en une seule entité ! Donc si on a de l’ARN et des lipides, on peut donc tout faire dans une cellule primitive. Le reste de toute façon, on le vire : Pas de prédateurs, pas de proies, pas de symbiotes : On ne garde que le minimum. Et là où ça devient vraiment chouette, c’est qu’il y a très peu de temps, des chercheurs de l’institut Scripps Research en Californie ont réussi à répliquer de l’ARN sans protéines : Les deux ARN se répliquent indéfiniment mutuellement ! Reste plus qu’à trouver des acides nucléiques… (Les lipides a priori, c’est bon.) Les lipides dans de l’eau vont se replier pour former des gouttes, certaines seront creuses avec du liquide à l’intérieur, isolant un milieu intérieur. Si un brin d’ARN primitif se trouve là, alors il pourrait se dupliquer tranquillement, peut-être en ressortir, parasiter une autre gouttelette et ainsi de suite. Bref, un genre de virus avant l’heure qui aura fini par se caser avec un métabolisme dans sa goutte (le métabolisme, c’est l’ensemble des réactions chimiques à l’intérieur d’une cellule, grosso modo).
IV Sinon, car je suis loin d’avoir fait le tour des hypothèses existantes, voici en vrac quelques autres pistes :
_Métabolisme primordial : la vie aurait commencé à haute température dans des petites zones isolées (micro-trou dans les météorites) par de petites molécules : Un échange de molécule entre les milieux externes/internes serait apparu en premier, le codage d’information ensuite.
_Atmosphère réductrice : L’atmosphère terrestre aurait été pleine d’atomes d’hydrogène et d’électrons, ce qui est très favorable aux molécules du vivant. Absence quasi-totale de dioxygène (ultra-oxydant) qui à l’époque, est un poison très puissant. (En réalité, ça n’a pas changé depuis mais j’y reviendrais une prochaine fois)
_Volcans sous-marin : La vie serait apparue près des volcans sous-marins et des composés qu’ils rejettent, en milieu très chaud. Notez que si le soleil venait à disparaître brutalement, les écosystèmes fondés sur cette activité thermique serait les seules à survivre le temps que la Terre se refroidissent tout à fait (indépendant du soleil et à l’abri des dangereux UVs)
_Pizza primodiale : Non ? Si ! En fait, la plupart des molécules prébiotiques se seraient regroupées en surface ce qui aurait bien aidé à l’apparition du vivant.
_Dans la croûte terrestre : La vie serait un sous-produit d’activité inorganique : le sulfure de fer et de nickel jouant le rôle de catalyseurs sur les gaz des éruptions. En 1988 Gunter Wachterhauser et ses collaborateurs ont obtenu des acides aminés et des peptides (petites chaînes d’acide aminés trop petites pour être des protéines) en laboratoire.
_Dans les argiles : Les surfaces des particules d’argiles sont chargées positivement, ce qui aurait pu attirer les molécules organiques, repousser l’eau et servir de catalyseur chimique. Chimie Pré-ARN : Avant l’apparition de l’ARN lui-même, il y aurait d’autres molécules porteuses d’informations, plus simples, qui ont aujourd’hui complètement disparu (des protéines ?)
Voilà, je n’ai pas donné de réponse à l’origine de la vie sur Terre, mais j’espère vous avoir un peu avancé sur le sujet quand même.
Vous l’aurez remarqués, toutes ces hypothèses sont très loin d’être incompatible. Il pourrait y avoir du vrai dans chacune d’entre elle. Ou alors on n’a pas encore trouvé la bonne. Bref, des gens continuent de chercher, c’est encore ce qu’on sait faire de mieux. C’est loin d’être terminé, mais ce ne sont pas les pistes qui manquent.
Sources :
Peter H. Raven, Georges B. Johnson, Jonathan B. Losos, Susan S. Singer ; Origine et premiers développements de la vie in Biologie ; De Boeck Université ; 2007
Actualités ; Science et vie ; Mars 2009, p 20
David Warmflash, Benjamin Weiss ; Une origine extraterrestre ; Pour la Science ; N°340 Février 2006.
La NASA, dont vient l’image de Deinococcus.
Robert Shapiro ; Les origines de la vie ; Pour la science ; N°359 septembre 2007
Site d’un chercheur Toulousain très bien documenté en exobiologie
LE GDR (groupe d’étude de l’exobiologie géré par le CNRS).
Pour voir des schémas sur le sujet et plus de précisions : Les origines de la biosphère, pdf de l’université d’Orléans
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