Le « journalisme citoyen » et les vrais journalistes
Depuis sa naissance, le phénomène appelé "journalisme citoyen" subit des critiques récurrentes, parfois en des termes très durs, particulièrement de la part des vrais journalistes, les titulaires d’une carte de presse.
1. Tout d’abord, quès aco, le "journalisme citoyen" ?
Comme son nom ne l’indique pas, il s’agit d’un citoyen qui n’est pas journaliste ! Et qui prétend, sinon faire œuvre de journalisme, du moins écrire des articles susceptibles d’intéresser au moins une personne... À moins de deux lecteurs, mieux vaut garder l’article pour soi !
Remarquons d’emblée que cette ligne de partage, claire et simple, est devenue plus floue, car certains journalistes publient dans les médias citoyens - soit pour aborder d’autres sujets que ceux acceptés par leur journal ou radio, soit simplement pour se diversifier.
Inversement, des citoyens publient dans des médias dirigés et principalement écrits par de vrais journalistes, comme Rue 89.
Plus encore - il est possible qu’une partie des citoyens soient faussement amateurs, des journalistes, attachés de presse ou influenceurs envoyés au front par divers lobbys ! Oh ! Ma tête, ça devient compliqué, ce sujet.
2. Commençons par passer un peu de pommade aux vrais journalistes
Tels des James Bond, ils ont dans la poche une carte de presse qui leur ouvre les portes de tous les lieux de pouvoir, depuis l’Élysée jusqu’aux plus ténébreuses réunions des mystérieux "think-tanks" où les maîtres du monde ourdissent leurs complots, ce qui leur permet d’en informer les lecteurs. Heu, non... là j’en fais trop.
Disons que leur vocation les a poussés à faire une école de journalisme, où ils ont appris à séduire le concierge et la secrétaire des puissants, à recouper l’info avec des ciseaux... Euh, non. Ce n’est pas ça non plus : où ils ont appris à chercher l’info, à être objectifs, avant de faire des stages sur le terrain.
Lors de leur dernière année d’école, à l’issue d’un rituel secret qui ne se transmet que de rédac’ chef à journaliste, on leur a révélé les secrets de la machine à café et la déontologie du métier - savoir taire le nom de la maîtresse des politiciens, savoir utiliser les couverts dans les bons restos avec les chefs de cabinet, comment se comporter à une réception au jardin (ça s’appelle "garden party" dans ce milieu) de TF1 ou de l’Élysée - bref, toutes les ficelles du métier.
C’est alors qu’ils ont enfin obtenu de la préfecture de police le permis de tuer à coups de plume assassine, cette carte qu’on presse sur le cœur dans un holster.
Sans rire, on peut rendre hommage aux reporters de guerre, qui prennent des risques considérables pour nous informer, au talent des éditorialistes, à la ténacité des journalistes d’investigations qui fâchent les puissants, ce qui peut leur valoir la mort comme pour la journaliste russe Anna Politkovskaïa ou des menaces très crédibles, comme Saviano par la Camorra.
Mais cela ne reflète pas l’ensemble du journalisme, qui est très hétérogène. Comme beaucoup de métiers, le journalisme recouvre une grande variété de profils : presse économique, sportive, mode, etc.
3. Le journalisme citoyen apporterait de fausses infos, ce serait un danger pour la société !
À en écouter certains, ça refilerait presque des virus informatiques...
Un exemple récent : la fausse info de la mort de Steve Jobs, dont on accuse le journalisme citoyen. G. Narvic en a fait un bon article sur AV.
Les médias traditionnels, grands ou petits, oublient de rappeler qu’ils ont eu leur lot d’infos bidons. On a encore en mémoire l’annonce dramatique et fausse de la mort du petit garçon disparu, qui a coûté sa place à une journaliste de TF1 pourtant très expérimentée.
Il nous revient aussi l’annonce prématurée de la mort de Pascal Sevran par Europe 1, dont le patron - Jean-Pierre Elkabbach - avait auparavant talentueusement critiqué les sites inconséquents ! "Des sites qui, pour exister, pour faire un coup, pour nuire à un adversaire, lancent des rumeurs, des fausses informations, des ragots, des nouvelles non vérifiées. La tentation est grande pour des sites de taper fort afin de se faire entendre, quitte à ne pas vérifier ou à ne pas donner la parole aux personnes qu’ils attaquent."
Ainsi, les mêmes qui donnent des leçons se font avoir par la course aux scoops.
L’affaire est rappelée par La Libre Belgique, dans l’hommage à Pascal Sevran.
Arrêt sur image
Rappelons aussi les orgies présumées de la bourgeoisie toulousaine, que l’emballement médiatique avait transformées en affaire de l’année avant de retomber comme un soufflé, et finir par l’aveu que tout reposait sur les déclarations d’un mythomane.
Les pros sont prompts à expliquer ces bavures par la pression, la course à l’audience, le travail dans l’urgence, l’exigence des auditeurs, lecteurs ou spectateurs qui iraient de suite voir ailleurs si les journalistes ne suivaient pas l’actualité de près. Ce qui n’est pas faux, reconnaissons-le.
Ils ont en quelque sorte des excuses légitimes, alors que le "citoyen journaliste" serait irresponsable, car il ne risque ni son poste ni sa réputation, ou si peu.
Même les journalistes de guerre, emblématiques de la profession, presque mythiques, ne sont pas exempts de critiques : les fameux journalistes "embedded" ne voient que ce qu’on les laisse voir. Jamais on a eu aussi peu d’images des victimes civiles (et même militaires) d’un conflit que lors des guerres d’Irak et d’Afghanistan... La leçon du Vietnam a été bien retenue par le service de (dés)information de l’armée américaine... Cela dit, la plupart de ces journalistes signalent honnêtement les limites qui leur sont imposées.
Malgré tout, même en se sachant manipulés, nous avons dans la tête l’image d’une guerre propre, alors même que les victimes civiles sont couramment estimées à 500 000 et que les bavures des bombardements se multiplient.
À notre avis, l’actualité immédiate n’est pas le bon positionnement pour le "journalisme citoyen", qui pour cela serait contraint de se rapprocher du fonctionnement du journalisme, s’abonner à l’AFP et aux différentes sources de productions d’info, avoir une rédaction permanente, etc., bref devenir un vrai journal fait par de vrais journalistes.
Mais il peut y avoir des exceptions, un article sur un sujet régional par quelqu’un bien au fait de la vie locale, ou un reportage à l’étranger par un expatrié ou quelqu’un ayant voyagé récemment, etc.
4. Le journalisme citoyen ne produit pas d’infos, n’apporte aucune info
Vous m’excuserez de faire référence à mes propres articles et de ne choisir des exemples que parmi les sujets que j’affectionne, mais je souhaitais des exemples dont je sois sûr. Nous pensons avoir apporté diverses infos inédites, ou au minimum rappelé des infos très peu connues car victimes d’autocensure :
— Que l’anglais est imposé à l’école primaire, chose simple à comprendre sur le plan intellectuel, car "pas de choix" signifie "obligatoire" ! Aucun prof n’est venu contredire. Pourtant, à notre connaissance, aucun média traditionnel ne l’a encore écrit. Pire - ils rivalisent d’imagination sémantique pour tourner autour du pot, du style "c’est l’anglais qui, à 95 %, etc.", quand ils ne pratiquent pas le mensonge pur et simple "l’anglais est choisi à 95 %"... Tout est bon pour éviter les gros mots comme "imposé" et "obligatoire" !
Soyons honnêtes : en rangeant de vieux papiers, il est apparu que la revue Famille magazine (n° 114, "Choix des langues, ne vous trompez plus") avait fait preuve d’une franchise que bien des grands journaux pourraient leur envier, en parlant du secondaire : "Dans quatre établissements sur dix, seul l’anglais est proposé en LV1." Bravo à la journaliste (Marie Ducamp), qui au passage démonte quelques clichés comme l’utilité de l’apprentissage précoce.
— Que l’espéranto progresse en France (cf. le site polyglotte de Montpellier, par exemple), que deux députées européennes sont espérantophones, qu’il a eu un beau succès au méga-festival des langues à Nankin (Chine) ; je ne détaille pas puisque ce n’est pas le sujet. Nous en avons apporté des preuves vérifiables.
— Que le niveau exigé en langue vivante au baccalauréat pour la certification en langue dans le cadre européen est absurdement surévalué, aboutissant à des blocages prévisibles. Et qu’en outre, cela pousse la France à enrichir la Grande-Bretagne, déjà 200 000 euros payés par l’État et les régions à titre expérimental, combien lorsque ce sera généralisé ? On parle déjà d’un million par an...
Quel grand journal et quel grand journaliste va faire un article disant qu’on va banquer un million par an à la GB pour un boulot que nos professeurs de langue pourraient faire dans le cadre de leur travail !
— Tout récemment, la proposition d’un rapporteur européen de généraliser l’anglais pour toutes les opérations portuaires : nous sommes sinon les seuls, du moins les premiers à le signaler, tant le sujet est évité.
Il existe certainement d’autres exemples d’infos inédites ou très peu médiatisées, nous n’avons pas la prétention d’avoir lu et analysé tout Agoravox, mais ces quelques exemples suffisent à infirmer cette accusation.
Donc, peut-être y a-t-il peu d’infos originales dans le journalisme citoyen, mais dire qu’il n’y en a jamais est faux, tout simplement. CQFD.
5. L’inverse n’est pas vrai pour autant : le journalisme traditionnel n’est pas fait uniquement d’infos inédites !
En dehors des grands dossiers, des enquêtes approfondies, il est frappant de voir à quel point certains articles se contentent de broder autour de nouvelles fournies par l’AFP, par la salle de presse de l’UE ou autour de déclarations syndicales ou d’autres organisations - bref, se contentent de mettre en scène la même info, assortie de quelques commentaires vite troussés.
Un seul exemple : lorsque le président Sarkozy avait déclaré que les chaînes télé françaises avaient vocation à parler français.
"Nicolas Sarkozy a donné sa vision de la réorganisation de l’audiovisuel extérieur français. "Je pense qu’une chaîne publique, France Monde [regroupant RFI, TV5 et France24, NDLR], qui garderait l’identité de chacun des participants, ne peut que parler français", a dit le président. "Avec l’argent du contribuable je ne suis pas disposé à diffuser une chaîne qui ne parle pas français", a-t-il déclaré à l’occasion de sa conférence de presse du 8 janvier 2008."
Comme sur le sujet du français et de l’anglais dans l’UE règne une sorte d’autocensure, la plupart des médias se sont contentés du service minimum, sans analyse, sans reprise de l’historique de France 24, de la question des langues dans l’UE, ce qui donne, sur Courrier international ou sur TVDZ, "la télévision du Maghreb"
les pages internet des articles similaires sur de grands journaux comme Le Point ou autres ne sont plus disponibles, mais de mémoire je peux dire que c’était à peu près la même chose, une info brièvement et discrètement rapportée, du bout du stylo.
Par contre, grâce au journalisme citoyen, on dispose d’un article beaucoup plus fouillé !
Les journalistes, les vrais, ont souvent les mêmes sources d’infos ; en fait, les infos inédites sont les plus rares, quel journaliste ne rêve pas de sortir un scoop ? Mais le plus gros des journaux est fait de la même matière brute, retravaillée selon la couleur du journal.
6. Certaines libertés n’existent que sur le journalisme citoyen
Principalement, celle de débattre après un article.
Il est bon qu’on puisse parfois parler sans le filtre du courrier des lecteurs. C’est en quelque sorte la version améliorée du café du commerce, ou de la foire d’empoigne qu’était souvent l’émission télévisée de Michel Polac.
Au point que les médias traditionnels, sur leur version en ligne, ont presque tous instauré la possibilité de commentaires, parfois limités à leurs abonnés (Le Monde). Certes, le filtre de la modération existe toujours, probablement à juste titre, mais on est désormais très loin du courrier des lecteurs qui ne laissait passer que de rares commentaires soigneusement choisis.
Le lecteur en ligne d’aujourd’hui veut pouvoir s’exprimer, et c’est grâce au journalisme citoyen !
Une particularité anecdotique : l’ego des "journalistes citoyens" est mieux traité que celui des professionnels ! Car leurs articles sont archivés, du moins sur des sites comme AV, ce qui permet de retrouver les anciens articles. Inversement, aussi bonne que soit la plume de tel ou tel journaliste, il est impossible de relire facilement ses articles passés. Heureusement qu’ils sont payés, sinon il y aurait là une injustice capable de les dégoûter d’écrire dans un "vrai" journal.
Autre particularité, pas toujours enviable : on peut davantage se défouler en tirant à boulets rouges sur qui on veut, la notion de politesse y étant plus élastique...
7. Les journalistes cachent des infos ou manquent d’objectivité
Souvent ! Et ne pas traiter une info ou la minimiser sont des méthodes fréquentes de manipulation.
Chaque média a sa ligne éditoriale, sa tendance, qui forme comme des limites que le journaliste ne doit pas dépasser.
Exemple : la discrète visite de Bernard Tapie à l’Élysée, faite après que le scandale de ses 240 m d’euros a été révélé (net pour lui : 40 m pour préjudice moral, sans que l’État ne s’y oppose !) a été fort peu traitée par nos grands médias...
Ou encore, le fait qu’actuellement l’État marchande avec TF1 qui a le culot de lui réclamer une fortune pour sortir de French 24 (sortie nécessaire à la restructuration de l’audiovisuel extérieur français), alors même qu’il a freiné son développement en refusant des exclusivités et en refusant sa diffusion sur le numérique, et juste après que le gouvernement lui ait offert le cadeau royal et controversé de l’interdiction de la pub sur les chaînes concurrentes ! Gageons que le montant qu’obtiendra TF1 après cette sorte de chantage (tu payes pas, je sors pas du capital) ne fera pas l’objet de beaucoup d’analyses...
L’objectivité est un but impossible à atteindre, c’est plutôt un état d’esprit, une volonté d’honnêteté.
(Rappelons le classique bon mot du fondateur du Monde, Beuve-Méry, qui disait que, pour le même article, il recevait des lettres de lecteurs le félicitant pour son objectivité, et d’autres lui reprochant son manque d’objectivité...).
8. Il y aurait des articles complètement nuls dans le journalisme citoyen
Oui , c’est vrai ! J’ai bien pensé mettre quelques exemples tirés d’AV, mais ça ne serait ni charitable ni confraternel.
Mais regardons un peu du côté du vrai journalisme... Quel journal ou télé n’a pas ses grosses daubes ? Les candidats se bousculent au portillon.
Tout récemment, l’entretien un peu orageux de Juncker par Pujadas sur France 2 a fait sourire. Arrêt sur images se moque savoureusement de leur journalisme d’investigation, qui semblait avoir découvert qu’une rue du Luxembourg était pleine de banques !
Quel magazine sérieux ne fait pas chaque printemps un dossier sur les méthodes modernes pour maigrir en trois semaines, le soleil, la plage, la drague d’été, les boîtes échangistes, les plages exhibitionnistes ? Avec à l’appui un débat philosophique sur l’épilation : pilosité fournie débordant sur l’aine versus épilation totale, et ses implications psychologiques : montre-t-on davantage son âme avec le minou rasé ?
Et le levier de la peur, combien de fois le vrai journalisme en joue-t-il ? Peur des émeutes, des banlieues, de la crise, de la retraite, de la maladie, de la vie ?
Et l’incessante lutte entre les magazines à coups de couvertures racoleuses ! Combien de couvertures en 2008 sur Carla Bruni et NS ?
La plupart des journaux ont un horoscope hebdomadaire. C’est du sérieux ça, entretenir la superstition et la croyance des gens dans les fausses sciences ? La science ne sait et n’explique pas tout, mais on sait au moins avec certitude à quel point l’astrologie est bidon !
Le journalisme authentique s’accommode de méthodes authentiquement douteuses.
Plus grave que les infos banales, et pire que l’astrologie, le vrai journalisme contient aussi sa dose de manipulation, connue sous le joli nom de publi-reportage - et pas toujours clairement signalée aux lecteurs...
Et gare aux récalcitrants :
"Par Badboy, Mariannaute. Une journaliste est menacée de sanctions par la direction de France 3 Aquitaine pour avoir refusé un publi-reportage. Point de départ d’une dénonciation de la "publicité pernicieuse"..."
Sur Marianne en ligne
9. Le journalisme citoyen serait mal écrit et truffé de fautes de français
Déjà, il n’a pas les moyens d’avoir un correcteur attitré, à l’inverse de tous les grands journaux.
Ne serait-ce que par politesse, nous sommes d’accord que les rédacteurs doivent au minimum passer leur texte à un correcteur orthographique.
Pour ce qui est de la qualité littéraire du journalisme citoyen, nous ne donnerons qu’un seul exemple, le plus récent que nous ayons en tête, en priant les autres bonnes plumes d’Agoravox de nous pardonner.
Ceux qui trouvent cet article de Monolecte mal écrit sont quand même difficiles...
Du reste, comme le soulignent les fondateurs du site, l’idée n’est pas tant de recruter des non-journalistes sachant à peu près écrire, mais de devenir un bouillonnement de débats et d’idées, si possible avec des infos et si possible de première main, qu’elles soient internationales, nationales ou locales.
10. Manque d’originalité !
Alors là, tout faux : un des principaux apports du journalisme citoyen est de permettre à des voix discordantes de s’exprimer, à des sujets boycottés de trouver une tribune, à des articles insolites d’être publiés à l’improviste.
Un exemple récent d’originalité
Bernard Dugué propose un changement de date pour le début officiel des saisons, tout en gardant les événements physiques que sont équinoxes et solstices comme symboles naturels. Un commentaire (Skirlet) signale d’ailleurs que, dans certains pays, chaque saison commence le premier du mois (ex. : 1er juin pour l’été, 1er septembre pour l’automne).
Surprenant et remue-méninges, non ? Être surpris, découvrir un texte qui nous parle, nous fait soudain réfléchir, ça se mérite.
Alors que les médias traditionnels, tenus, pour durer, de correspondre au goût de leur lectorat si difficilement conquis, sont probablement moins enclins à la diversité et à l’insolite.
11. Le boycott de certains sujets
Les espérantistes, dont je suis, trouvent depuis la fondation d’Agoravox la possibilité de plaider leur cause (l’usage d’une langue construite comme lingua franca du monde ou de l’UE), de répondre aux préjugés et critiques par des éléments objectifs et vérifiables. Sur de tels sujets, la ligne éditoriale et l’auto-censure des médias traditionnels - même de grande qualité - empêchent les lecteurs de se forger leur propre opinion. Rappelons néanmoins que la presse régionale, France Culture, France Inter et France 3 ont changé d’attitude envers l’espéranto, et c’est tout à leur honneur.
La polémique sur le 11/9...
Les articles de Denis Robert qui relate régulièrement sa longue bataille procédurale contre Clearstream, dont le dernier en date.
Tout ceci démontre clairement le rôle que peut tenir le journalisme citoyen comme contre-pouvoir, modeste, mais réel.
12. La gratuité
Les journaux, même réputés, sont portés à bout de bras par la pub en raison de finances fragiles, et un boycott par un gros annonceur mécontent peut être un séisme... Seul Le Canard enchaîné est exempt de publicité et ne vit que de ses ventes.
Tous les médias en ligne s’orientent vers une formule mixte de gratuité partielle, d’abonnement et de publicité.
Ce qui n’est que justice, car journaliste, c’est un métier, qui doit donc être rémunéré, ce que ne peut faire le journalisme citoyen, malgré de timides tentatives : le média québécois Centpapiers annonce un futur partage des revenus, s’il y en a ! De même, les encyclopédies en ligne se cherchent, face à Wikipedia qui est lui-même à la croisée des chemins.
Bref, nous sommes dans un domaine mouvant qui s’est considérablement transformé, et dont personne ne sait à quoi il ressemblera dans quelques décennies.
(Nota : en parlant de gratuité, faut que je pense à envoyer ma facture à Agoravox pour ce plaidoyer)
13. Signalons aussi quelques articles récents d’Agoravox sur le même sujet
"L’information entre vérité et réalité", par Caleb Irri :
"Pour qu’une information soit considérée comme vraie, il ne suffit pas qu’elle existe réellement, mais plutôt que les médias s’accordent à la considérer comme telle."
"Fausse mort de Steve Jobs : à qui la faute ?" par Guillaume Narvic :
"L’enjeu de la vérification de l’information est donc bien crucial, mais c’est un faux débat que de pointer du doigt le journalisme citoyen. La question est celle des normes rédactionnelles, des procédures de vérification et la manière dont on les applique. Et ça concerne au même titre le journalisme citoyen... et le journalisme professionnel."
Et en dehors d’AV, Novövision
14. Les pseudos
Quelques journalistes aussi utilisent des pseudos - voire de fausses particules de noblesse. Peut-être faudrait-il que les gestionnaires du site disposent des vraies identités des auteurs... Qui peuvent néanmoins facilement être retrouvées en cas de délit. Confessons ici que "krokodilo" est un pseudonyme, et je n’habite pas une ville orbitale comme indiqué, je n’y suis même jamais allé.
15. le journalisme citoyen a probablement accéléré ou modifié l’évolution du français, du simple fait de l’augmentation exponentielle du nombre de producteurs d’écrit
Le nombre de producteurs d’écrit a considérablement augmenté, Avec parfois quelques inconvénients : il n’est pas rare qu’en faisant une recherche Google sur tel ou tel mot ou expression, la forme incorrecte revienne presque aussi fréquente que la forme dite juste !
Mais c’est une liberté supplémentaire qui nous est donnée, aux côtés des pros, celle de participer activement à la vie de la langue.
Conclusion
Nous avons vu et reconnu tout ce qui sépare le journalisme du phénomène appelé journalisme citoyen.
Peut-être aurait-il fallu lui trouver un nom plus adapté : débat citoyen ? Une sorte de version écrite et améliorée du café du commerce, née de l’explosion de la toile et dont nul ne connaît l’évolution future.
Erreurs, manipulations, propagande, mensonges volontaires, boycott de sujets, polémiques artificielles, articles de commande, complaisance envers les puissants ou pour flatter les lecteurs, mauvaise foi, soumission aux impératifs financiers de la pub et des actionnaires, copinage de la critique culturelle, publicité envahissante, "marronniers" (dossiers ou articles récurrents, comme maigrir avant l’été), médiocrité.
Toutes ces dérives sont possibles aussi bien dans le vrai journalisme que dans le "journalisme citoyen" !
Dans les deux cas, donc, le lecteur doit donc veiller à rester lucide, évaluer ce qui est écrit, regarder si des références ou des sources sont indiquées, recouper l’info - bref, ne pas se contenter d’avaler la soupe toute prête.
D’une manière générale, cela pose la problématique de la chose imprimée : dans notre société médiatique, un fait n’est considéré comme vrai que s’il est paru à la télé ou dans un grand journal. Or, nous avons vu par quelques exemples que tout ce qui était imprimé n’était pas vrai (cela peut être simplement tronqué ou carrément faux !) et qu’en outre tous les faits n’étaient pas imprimés !
De plus, les frontières se sont vite entremêlées : certains journalistes, et non des moindres, tiennent un blog, tandis que les médias en ligne permettent presque tous des commentaires. Quand ce n’est pas une émission entière qui migre sur la toile avec armes et bagages ! Arrêt sur image, trop dérangeant en décortiquant les manipulations et en apprenant aux téléspectateurs à analyser les infos qu’on lui sert, a dû trouver des cieux plus accueillants...
Arrêt sur image
(un blog avec certains de ses anciens chroniqueurs)
Cette nouvelle interactivité des journaux et des journalistes avec leurs lecteurs est d’ailleurs en partie à mettre au crédit du journalisme citoyen. Il peut lui arriver, rarement peut-être, d’apporter des infos inédites, il amène parfois un éclairage original ou des sujets insolites, au gré des intervenants et de leurs centres d’intérêts, et peut contourner n’importe quel boycott. Bref, c’est un brassage continu de sujets et de lecteurs, là où la presse traditionnelle demeure davantage cloisonnée, chaque média ayant son lectorat et sa ligne éditoriale, qui se tiennent l’un l’autre.
C’est un espace démocratique, un modeste contre-pouvoir supplémentaire aux côtés du vrai journalisme qui produit la masse d’infos francophones disponibles, françaises, mais aussi belges, suisses, québécoises, marocaines, Le Courrier du Vietnam, et bien d’autres.
Parfois, dans ses excès, il peut sembler la version écrite du carnaval où on peut se grimer et moquer les puissants !
Quoi qu’on en pense, ce phénomène semble bien installé, et il faudra bien que les vrais journalistes fassent avec. Quant à son évolution, elle est ce que nous en ferons.
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