Reclose 9-11
Disclaimers
Entendons-nous bien sur trois points. D’abord il n’est pas question ici d’affirmer gratuitement que les membres et sympathisants de ce mouvement sont des idiots ou des affabulateurs. Il est vrai que leur position radicale peut susciter des réactions parfois violentes, néanmoins la rejeter sans examen serait une attitude qui nous semble peu productive. En second lieu, l’objet de cet article n’est pas de défendre la version officielle des faits ou d’affirmer que l’enquête a été parfaitement menée. On a tôt fait, quand on s’oppose aux vues dites "conspirationnistes", de se faire accuser de naïveté, de manque de curiosité et d’esprit critique, voire d’être au service d’une propagande du fait de ne pas remettre en question la version officielle. À titre personnel, je n’ai aucune sympathie pour le gouvernement de George W. Bush et je suis conscient que l’administration américaine n’a pas hésité à mentir outrageusement pour soutenir une politique de guerre et de répression. On se remémorera, par exemple, la triste prestation de Colin Powell aux Nations unies sur les armes de destructions massives, prestation qui servit à justifier la guerre en Irak. Enfin, cet article n’a pas non plus pour objet de démonter un par un les arguments en faveur d’une réouverture du dossier sur le 11-Septembre. Il s’attaquera aux fondements et aux méthodes du mouvement plutôt qu’aux arguments avancés en eux-mêmes (même si certains serviront d’exemple), pour la bonne raison que ceux-ci, comme nous allons le montrer, sont en nombre virtuellement infini.
La théorie sur le 11-Septembre
Commençons par nous attarder sur la thèse en elle-même. Ce qu’on pourrait appeler le "point d’entrée" de la théorie est sans aucun doute l’affaire de l’avion qui s’est écrasé sur le Pentagone. Les partisans de la théorie affirment, en s’appuyant sur des photos faites peu après l’attentat, qu’aucun avion n’a pu s’écraser puisque l’emplacement détruit est beaucoup trop étroit, qu’aucun débris d’avion n’a été retrouvé et que les avions auraient forcément été interceptés par le dispositif de sécurité du Pentagone. Il s’agirait donc d’un missile envoyé par l’armée des États-Unis elle-même. Qui sait quelle trace doit laisser un avion sur le Pentagone ? Qu’importe. Les photos et le discours sont assez convaincants. Partant de là, si l’on admet ce premier argument, il devient facile d’imaginer que le gouvernement ait pu mentir sur de nombreux autres points. Peu à peu, l’édifice de la théorie se met en place et les indices le renforçant abondent : les tours n’ont pas pu s’écrouler sans explosifs car ce serait contraire aux lois de la physique, de plus des pompiers ont entendu des explosifs, les membres de l’administration américaine posséderaient des liens avec la famille Ben Laden, etc. Nous n’allons pas détailler ici l’ensemble des éléments de la théorie, mais les personnes intéressées pourront se rendre sur le site : http://www.reopen911.info/. Mettons en garde les lecteurs sur le manque de fiabilité et d’objectivité des informations qu’ils trouveront sur ce site, comme nous allons le montrer ensuite. On trouvera une critique des arguments principaux de la théorie en suivant ce lien ou celui-ci.
L’attrait de la théorie
Un premier constat s’impose et c’est d’ailleurs ce constat qui vaut à la théorie le nom de "théorie du complot", et qui la rapproche d’autres théories du complot (sur l’assassinat de Marilyn Monroe, de J.-F. Kennedy, sur la présence d’extraterrestres sur terre connue des services secrets, etc.). En effet, dans ce cas comme dans les autres, l’histoire qui nous est racontée concerne des faits qui nous sont volontairement cachés. Par conséquent, il est normal qu’on ne possède aucune preuve en leur faveur, puisque tout est fait pour que nous l’ignorions. Ainsi, la première validation d’une théorie du complot tient au raisonnement suivant : si c’est vrai, ça doit être caché. Puisque ça n’apparaît pas, c’est caché et donc c’est forcément vrai. Ce raisonnement inductif - faux - peut permettre d’affirmer à peu près n’importe quoi, pourvu que ce soit caché. S’il n’est en général pas avancé explicitement, c’est un raisonnement naturel que nous tenons tous implicitement étant soumis à ce genre de thèses. De plus, il possède un pouvoir attractif indéniable sur l’esprit humain, qui explique à la fois la fascination qu’il exerce chez certains et le fort rejet qu’il exerce chez d’autres. Il en naît un sentiment d’injustice, le sentiment d’être manipulé et un fort ressentiment contre un ennemi puissant (ici le gouvernement américain) contre lequel il faut lutter. Il propose une explication simple et confortable à l’esprit. Il opère une dichotomie entre ceux qui savent et ceux qui ignorent (les forts et les faibles), puis entre ceux qui veulent le cacher et ceux qui veulent le révéler (les bons et les mauvais). Le fait que les adeptes de la théorie soient relativement marginaux et peu médiatisés prouve justement que tout est fait pour cacher celle-ci. La théorie s’auto-valide. Chaque fait peut être réinterprété à sa lumière. Elle nous met dans le secret, désormais nous en savons plus que les autres, à notre tour d’évangéliser.
Validité d’une théorie du complot
Une théorie du complot est-elle fausse ? Certainement pas. Qu’elle possède un attrait psychologique ne signifie pas qu’elle soit fausse. Il est possible qu’elle soit vraie. Elle est seulement a priori invérifiable et infalsifiable. Prouver qu’une chose n’existe pas est en effet particulièrement difficile. Un exemple célèbre consiste à affirmer qu’une couscoussière navigue dans l’espace entre la Terre et la Lune. Tant que personne ne l’aperçoit, on peut toujours supposer qu’elle existe. Cette affirmation ne sera jamais falsifiée. Si un jour quelqu’un l’aperçoit, elle sera même vérifiée. Ce type d’affirmation a également le mérite d’opérer un retournement de situation : plutôt que de devoir prouver son existence, on demandera à ceux qui n’y croient pas de prouver le contraire. Une théorie du complot possède la caractéristique suivante : elle reste crédible bien qu’aucune preuve ne la valide. Bien entendu, l’exemple de la couscoussière est extrême puisque rien dans les informations dont nous disposons n’appuie l’existence d’une couscoussière dans l’espace. Une bonne théorie du complot s’appuie, elle, sur des faits concrets qui semblent confirmer la théorie. Dans le cas du 11-Septembre, la théorie du complot s’appuie sur un nombre impressionnant d’informations. Il n’existe aucune preuve indéniable de la véracité de la théorie du complot concernant le 11-Septembre 2001, mais on peut penser qu’il existe un faisceau de présomptions et de conjectures en faveur de la théorie ainsi qu’un certain nombre de faits en cohérence avec elle qui la rendent extrêmement probable. La théorie du complot sur le 11-Septembre est-elle vraiment probable ? Nous allons maintenant montrer qu’un biais dans la méthode, qui est en réalité une méthode pseudo-scientifique, agit en trompe-l’œil sur notre évaluation de sa crédibilité.
La méthode scientifique
La méthode scientifique consiste en premier lieu à observer les faits. En second lieu, on pourra émettre une ou plusieurs hypothèses crédibles expliquant le phénomène observé. Enfin, on essaiera de déduire des implications de ces hypothèses permettant de les confronter à la réalité des faits. Dans le cas où plusieurs hypothèses sont cohérentes avec les faits et que, par conséquent, il est impossible de les départager, il conviendra de privilégier celle qui est la plus "simple", c’est-à-dire celle qui demande le moins de présuppositions arbitraires non vérifiées. Il y a de fortes chances que ce soit la bonne. C’est ce qu’on appelle le principe du rasoir d’Ockham. La méthode scientifique rationnelle est à ce jour la seule méthode connue de l’homme qui permette d’élaborer une connaissance universelle, c’est-à-dire suffisamment objective pour que chacun puisse s’y accorder. C’est ce qui explique son succès. Pour prouver que la théorie du complot est scientifiquement vraie, il ne suffit donc pas d’accumuler les présomptions. Il faut soit montrer qu’aucune théorie concurrente n’est crédible (par exemple, prouver de manière indéniable que les tours ne peuvent s’effondrer sans explosifs, ce qui implique non pas d’établir quelques conjectures à partir d’équations de la physique, mais d’utiliser une modélisation précise et valide, reproductible par quiconque le souhaite, de la topologie du lieu et de la structure de l’ensemble des bâtiments, puis de l’impact), soit de montrer que cette théorie est la plus économique en présupposés ad-hoc (ce qui est perdu d’avance, car le fait qu’un complot soit entièrement caché du public implique un grand nombre de suppositions non vérifiées). À titre d’exemple, quand on voit un avion s’écraser sur une tour et que celle-ci s’écroule peu après, l’hypothèse que l’impact de l’avion est à l’origine de l’effondrement est la plus simple et économique en présupposés car elle ne suppose pas d’autres causes à l’effondrement, comme la présence d’explosifs, ce qui exigerait d’expliquer entre autres comment ils ont pu être placés par un groupe de personnes sans aucune fuite ni aucun témoin et pourquoi ils ont été déclenchés juste après l’impact des avions.
La méthode pseudo-scientifique
Il existe une autre façon de procéder qui, à coup sûr, va induire en erreur ceux qui la mettent en œuvre. Elle est très largement utilisée par les partisans de la théorie du complot sur le 11-Septembre et la quasi-totalité des arguments sont produits de cette façon. Elle est aussi souvent utilisée par les tenants de superstitions et de théories surnaturelles en tout genre (médecines parallèles, créationnisme...). Elle consiste à partir d’une hypothèse donnée à accumuler toutes les informations qui confortent l’hypothèse, à réinterpréter tous les faits à la lumière de cette hypothèse (avant même qu’elle ne soit prouvée) et à rechercher toutes les conjectures possibles susceptibles de la valider. Le moindre lien éloigné (par exemple, le fait que les familles Ben Laden et Bush confient leur argent à une même entreprise) pourra nourrir de nouvelles suppositions, de nouvelles présomptions invérifiables. Dans le cas du 11-Septembre, l’accumulation d’informations sur internet rend ce genre de travail assez aisé, et il n’est même pas nécessaire de se déplacer. Le nombre d’arguments potentiels est quasiment infini puisque chaque fait peut être réinterprété. Cela nous donne un amas de suspicions, de conjectures, de présomptions appuyées sur des faits réels vérifiables qui rendent le tout crédible. Ce type de théorie est donc tout à fait cohérent avec la réalité, il a toutes les apparences d’une théorie très probable. Seulement, si l’accumulation de faits réels et de présomptions donne l’illusion que la théorie est très probablement vraie, nous n’avons en réalité rien prouvé de concret. Nous avons seulement démontré que notre hypothèse n’est pas incompatible avec la réalité. En aucun cas, elle n’est plus valide ni même plus probable qu’une autre. Autrement dit, le résultat est bluffant, mais, concrètement parlant, c’est du vent. Dans le cas des attentats du 11-Septembre, l’hypothèse du complot américain n’est pas falsifiée. Seulement bien qu’aucune preuve convaincante n’existe, que rien ne permette de la départager, d’autres hypothèses plus simples, un faisceau de présomptions donnant l’illusion de la vérité a été mis en place par les partisans de la théorie en employant des méthodes pseudo-scientifiques que nous venons de citer, en posant l’hypothèse avant d’interpréter les faits, au lieu de faire l’inverse. Ces présomptions témoignent d’une volonté irrationnelle et démesurée de croire en l’hypothèse plutôt que la recherche de la vérité. Elles témoignent de la suspicion plutôt que du doute. Si ces présomptions sont avérées, ce que rien n’exclut, c’est donc par un énorme coup de chance, mais il y a fort à parier qu’elles ne le soient pas.
Les biais de la méthode
Précisons de quelle façon naît l’illusion de la vérité et en quoi il s’agit d’une simple illusion. Les méthodes de ce type possèdent de nombreux biais, principalement du fait qu’elle sont motivées par une volonté de croire qui prend le pas sur le raisonnement et l’objectivité. Parmi ces biais, notons :
- la sélection des faits (on omettra, par exemple, de signaler les nombreux témoignages de ceux qui ont vu l’avion s’approcher du Pentagone, ou que Ben Laden avait déjà commis des attentats) et des implications déduites de la théorie.
- la focalisation sur les détails (par exemple, la chute des tours) et le refus de considérer le problème dans son ensemble pour évaluer la probabilité. Généralement, l’hypothèse prise dans son ensemble semble peu probable (pour le gouvernement américain, préparer et masquer ces attentats sans aucune fuite serait une entreprise titanesque, les États-Unis auraient-ils pris le risque se faire découvrir ? Auraient-ils pris la décision de tuer des milliers de concitoyens par pure manipulation sans envisager d’autres méthodes plus douces ?)
- Le fait qu’en cherchant on finira toujours par trouver un lien entre deux choses (entre les Bush et les Ben Laden, par exemple : en moyenne six personnes nous séparent d’un individu quelconque de la planète par relations interposées).
- La négation du hasard, de la contingence et de la complexité : tout a une explication en rapport à la théorie (pourquoi les mensonges de l’administration américaine cacheraient-ils tous le même complot et n’auraient pas plusieurs causes distinctes ?)
- L’escalade dans les suppositions nécessaires pour valider la théorie (pourquoi auraient-ils voulu absolument que les tours s’effondrent ? comment a-t-on pu installer les explosifs ? etc.).
- La surestimation des possibilités de manipulation de "l’ennemi".
- L’utilisation abusive du raisonnement logique dans un milieu extrêmement complexe qui ne s’y prête pas (à l’image de la série Les Experts dont les déductions permettent de résoudre des énigmes de façon irréaliste).
- En particulier, les extrapolations, suppositions et conjectures invérifiables sur ce qui est possible ou impossible lors d’événements non reproductibles (par exemple, sur la température lors de l’impact, la présence de soufre, le type de métal qui apparaît fondu sur une photo, la forme d’un impact de boeing ou la vitesse de chute des tours) sans mesurer la complexité de ce genre d’événements (un impact d’avion à cette vitesse n’est pas un simple incendie) et en surestimant notre capacité à prendre en compte tous les éléments (aucun autre événement s’en rapprochant ne peut servir de référence).
- L’utilisation systématique de raisonnements inductifs (le fait que des pompiers aient entendu des bruits d’explosifs ne prouve pas qu’il y ait eu des explosifs : il faut d’abord prouver que la chute d’un immeuble de cette taille ne provoque pas des bruits similaires).
- Le fait de ne jamais envisager toutes les hypothèses concurrentes (le bruit d’explosifs pourrait être causé par l’effondrement, l’armée n’aurait pas pu abattre un avion au-dessus d’une aire urbaine).
- Le rejet d’hypothèses concurrentes sous prétexte qu’elles n’expliquent pas un point donné. Le fait qu’elles n’expliquent pas un point donné ne signifie pas qu’elles soient fausses.
- L’utilisation de témoignages ou de faits douteux ou l’interprétation subjective des faits et témoignages de manière abusive pour valider la théorie.
- L’accumulation de présomptions non probantes et le procès d’intention (le fait que l’enquête scientifique officielle soit ou non bâclée, que la piste de l’attentat islamiste ait été privilégiée immédiatement après l’attentat par les autorités, que le gouvernement américain tire parti de la crise pour mettre en place certaines politiques à leur avantage ne prouve pas qu’ils essaient de masquer quelque chose ou qu’ils aient prémédité les attentats. Il existe d’autres hypothèses explicatives tout aussi valides).
Il est inutile de détailler l’ensemble des arguments. Ceux qui sont intéressés trouveront arguments et contre-arguments s’opposant sur chaque point sur internet. Retenons seulement que ce type de méthode agit en trompe-l’œil en rendant une hypothèse beaucoup plus probable en apparence qu’elle ne l’est réellement, le principe étant de chercher avant tout à valider la théorie et à invalider les théories concurrentes plutôt que de privilégier les faits. S’ajoute à ça l’attrait psychologique que nous évoquions, et le nombre d’adeptes est garanti.
L’attitude du journaliste
Si la théorie du complot n’est jamais reprise dans les médias traditionnels, ce n’est pas parce que s’exerce une censure, parce que ceux-ci sont à la solde de l’autorité, de manière consciente ou non. C’est peut-être un petit peu par conformisme et par prudence. Mais c’est surtout parce qu’aucun fait concret n’accrédite indéniablement la théorie. Or, quand on est un journaliste d’investigation et qu’on possède un nombre important de présomptions qui seraient susceptibles de valider une certaine théorie à laquelle nous croyons, de deux choses l’une : soit on pousse en avant nos recherches pour essayer d’obtenir quelque chose de concret, on recoupe les faits, on vérifie, mais, en l’absence d’éléments, nous ne publions rien, soit on s’autorise à publier nos présomptions, voire à les présenter comme s’il s’agissait de faits dont nous détiendrions la preuve, pariant sur le fait que personne ne pourra vérifier. La première attitude est professionnelle. La seconde tient du charlatanisme et de la malhonnêteté intellectuelle. Rien ne nous empêchera de réitérer le processus, de broder autour de faits réels en inventant toujours plus de théories, toujours cachées pour être infalsifiables, toujours contre un ennemi puissant pour être attrayantes. Rien ne nous empêchera d’utiliser des informations douteuses, d’exagérer, voire de falsifier des faits. Le journaliste malhonnête pourra inventer sans cesse de nouvelles conspirations. Un jour peut-être par chance tombera-t-il juste sur un point plus ou moins important, ce qui l’accréditera d’autant plus. Pour le reste, personne ne pourra prouver le contraire. Il sera rejeté par ses confrères à cause de ses méthodes douteuses, mais ce sera un argument supplémentaire pour appuyer ses théories "qui dérangent" et crier à la censure. Où s’arrête ce genre de processus ? Tout comme il est possible d’émettre un faisceau de suspicions à l’encontre du gouvernement américain sur les attentats du 11-Septembre, il est également possible d’émettre un faisceau de suspicions sur la malhonnêteté intellectuelle des tenants de cette thèse, et même d’imaginer qu’il s’agit de promouvoir une certaine idéologie politique anti-américaine (ou anti-républicaine aux États-Unis). À titre personnel, et bien que n’étant pas du tout favorable à la politique américaine actuelle, je porte beaucoup plus de crédit à cette deuxième hypothèse qu’à la première, même si je dois admettre que rien ne la démontre.
L’attitude du citoyen
Énormément de présomptions, aucune preuve, une méthode trompeuse, des assertions ni vérifiables ni falsifiables, mais un fort attrait psychologique, il ne semble pas que le dossier du 11-Septembre mérite d’être réouvert à la lumière de cette nouvelle théorie. La méthode scientifique voudrait qu’étant donné que les théories ne sont pas départagées indéniablement, on choisisse celle qui suppose le moins d’hypothèses improbables. En l’absence d’éléments supplémentaires, le complot intérieur américain est donc exclu, et sans pour autant que l’enquête officielle ne soit irréprochable, rien ne justifie une réouverture du dossier. Je souhaite maintenant apporter quelques éléments qui permettent de se forger l’esprit critique. Le premier, sans doute le principal, est de ne pas croire vrai ce que l’on voudrait vrai. Ça peut paraître facile, mais ça ne l’est pas. Quand on nous présente plusieurs hypothèses, il y en a toujours dont on aimerait qu’elles soient vraies, et nous serons systématiquement d’autant plus enclin à les croire qu’elles nous confortent dans nos croyances établies ou exercent un attrait sur nous. Avoir conscience de ce phénomène est essentiel ; la plupart du temps, il se justifie, mais savoir remettre en question nos croyances à l’occasion demande une certaine ouverture d’esprit. Il s’agit d’appliquer la célèbre phrase du philosophe Alain : "Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit". Ce principe devrait nous amener à envisager la théorie du complot comme vraie, même si on la rejette a priori, mais aussi à douter d’elle si on y croit. Le second élément, c’est le constat que nous sommes tributaires pour notre information des journalistes. L’abondance d’informations sur internet peut nous laisser croire que tout nous est accessible depuis notre canapé, qu’il suffit de poser quelques équations pour savoir comment se produit un phénomène physique et que l’investigation et l’expérience sont inutiles, ce qui est faux. Il s’agit donc de faire preuve de méfiance vis-à-vis des informations présentées, et de ne jamais porter de crédit à des informations par nature invérifiables. Parfois, mieux vaut accepter son ignorance que de croire tout ce qu’on lit. Au fond, qui peut prétendre savoir qui a tué J.-F. Kennedy ? Notons que ce principe doit nous amener à douter des informations fournies par les autorités, que l’on peut assimiler dans une certaine mesure à de la communication d’Etat (c’est-à-dire à de la propagande basée sur des faits réels), mais également des informations fournies par certains sites internet souhaitant avant tout nous convaincre d’une théorie ou d’une autre ou encore promouvoir certaines idéologies et intérêts. Encore une fois, ce n’est pas facile. La solution se situe quelque part entre la naïveté et la paranoïa, deux attitudes dont il faut se défier...
L’hygiène de la pensée
Un dernier élément devrait nous permettre de douter définitivement de ce type de théorie. En effet, la connaissance de la méthode scientifique nous apprend qu’il existe des raisonnements trompeurs, des méthodes fallacieuses et des assertions dont il est légitime de se méfier d’emblée du fait qu’elles sont infalsifiables. Une théorie "du complot" (c’est-à-dire non pas sur un complot, mais sur ce qui est caché) devrait toujours comporter des preuves indéniables avant d’être prise en compte. Le fait d’interpréter la réalité à la lumière de la théorie et non l’inverse est une attitude on ne peut plus suspecte, d’autant plus que la théorie n’est pas falsifiable. Le fait qu’une théorie soit excessivement simple et cohérente, dans le domaine humain qui est si complexe, est suspect. Le fait qu’elle exige de croire en un grand nombre d’hypothèses extravagantes est également suspect. Enfin, l’absence du moindre doute et la volonté acharnée de croire, de convaincre, de dénigrer et de faire disparaître les avis contradictoires sont éminemment suspectes. La conviction des adeptes d’être détenteurs d’une vérité réprimée semble parfois proche de la foi religieuse, en tout cas tenir de l’irrationnel. Elle tient souvent plus du prosélytisme que de la sincérité. Nous n’affirmons pas que la rationalité est l’unique moyen d’accès à la connaissance, nous ne pensons pas que la raison est omnipotente... Mais c’est certainement le meilleur moyen de se défier de l’illusion et de déceler les croyances irrationnelles. Nier ce que l’on croit, se méfier des informations, se défier de l’illusion, ces trois éléments constituent ce qu’on peut appeler une hygiène de la pensée. Aujourd’hui, cette hygiène me semble plus que jamais nécessaire. Nous sommes baignés dans un flot incessant d’informations. Prendre du recul et faire le tri n’est pas chose aisée. Mon opinion personnelle à ce sujet et qu’il peut être nécessaire de se soustraire à ce flot pour ne pas s’y noyer, de reprendre contact avec une réalité plus immédiate, qu’il est plus que jamais essentiel de garder l’esprit ouvert à des contenus de fond sur des sujets éloignés de l’actualité, en tout cas sur des sujets variés, et pourquoi pas de sortir du monde virtuel pour reprendre place dans la cité.
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