AgoraVox et le Bouddhisme
Je consulte assez régulièrement Agoravox et j’ai constaté que parfois il y était question de Bouddhisme : il y a eu quelques articles et une personne qui publie régulièrement se présente comme étant Bouddhiste… Ayant lu certains textes de cette personne je pense qu’il y a une contradiction entre l’esprit qui se dégage de ceux là et l’enseignement fondamental du bouddhisme. Ce qui peut avoir pour conséquence de donner une vision erronée de ce qu’est réellement le Bouddhisme à ceux qui ne le connaissent pas. Je vais donc essayer, à partir de ma modeste expérience (voir mon profil), d’expliquer ce qu’est réellement le Bouddhisme.
Le Bouddhisme n’est pas une doctrine monolithique. Il est subdivisé en trois grands courants : le « Theravada », voie des anciens (ou « véhicule inférieur »), qui s’est développé dans le sud-est asiatique, le « Mahayana » (ou « Véhicule supérieur »), qui s’est développé en Chine au Japon, en Corée et au Viêt-Nam, et le Vajrayana ou « Véhicule de diamant » vécu essentiellement au Tibet et en Mongolie. Ces trois grands courants se subdivisent eux-mêmes en de nombreuses écoles… Mais toutes ces écoles se réclament de l’enseignement de base de Bouddha qui est résumé dans son premier sermon dit « Sermon de Bénarès » ou des « Quatre Nobles Vérités » (Dhamma-Cakkappavattana-sutta ». Dans celui-ci Bouddha fait le constat suivant :
1ère Vérité Il existe en tout être humain un « mal être », une « insatisfaction existentielle » (Dukkha en sanskrit, mal traduit par « Souffrance »)
2ème Vérité : Ce « mal être » a son origine dans « la Soif » (tanha, en Pali ou trishna en sanskrit). Cette « Soif » est l’avidité insatiable que nous possédons tous en nous et qui est le moteur de la vie humaine (c’est un aspect du samsara et aussi ce qui active le karma).
Cette « Soif » est à l’origine de que Bouddha désigne par « les Trois Poisons » : la haine, l’avidité, et l’ignorance.
L’avidité et la haine sont provoquées par notre ignorance de ce que nous sommes réellement, de ce qu’est réellement l’existence. Nous nous prenons pour un ego, un « moi », permanent, autonome et unique, chacun de nous se vivant comme quelque chose d’absolu et séparé des autres. Pour entretenir cette illusion nous cherchons sans cesse à nous approprier, à vouloir tout maîtriser, a chercher pouvoir et puissance, ce qui engendre individualisme, égoïsme, orgueil et arrogance. Cette course à « l’Avoir », au « toujours plus », au « Profit » nous conforte et nous rassure ! Mais cela nous échappe continuellement et fait naître en nous une insatisfaction permanente qui entretient ce cycle infernal et provoque une fuite en avant. Nous avons peur de perdre ce que nous avons, de ne pas obtenir ce que l’on désire, peur du lendemain incertain, peur de l’autre qui, par sa différence, pourrait contrarier notre « moi » et ses « désirs » incessants.
Voila ce que Bouddha désigne par la « Soif » Cela explique en particulier l’origine de la violence, des conflits, le rejet de l’autre et la haine. Et explique bien le fonctionnement de la civilisation occidentale : son désir de puissance, de domination, son arrogance et son consumérisme, dont les valeurs sont la recherche du profit, la compétition, la réussite individuelle, l’individualisme, la richesse matérielle et qui ne conçoit le monde qu’en termes utilitaires. D’ailleurs toutes les « grandes civilisations » se sont, sans doute, construites sur cette « Soif ».
3ème Vérité : On peut se libérer de cette « soif », donc de la « Souffrance », et ainsi trouver sagesse, sérénité et bonheur…
4ème Vérité : C’est le « Noble Octuple Sentier » qui nous procurera cette libération si nous le mettons en pratique dans notre vie quotidienne. Celui-ci se décompose en huit Voies : la vision juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, les moyens d’existence justes, l’effort juste, l’attention juste, la concentration juste. Juste signifiant que l’intention qui est à la source du comportement est mue par ce que l’on nomme les « Quatre Nobles Comportements » : bienveillance, compassion, joie partagée et l’équanimité ; par ce que l’on appelle les « Six Paramita » : la générosité, l’éthique, la patience, la force (dans le sens de courage ou détermination), la méditation et la sagesse ; et aussi par un certain nombre de règles éthiques : 10 dans le Bouddhisme zen. Règles que l’on retrouve d’ailleurs dans toutes les grandes traditions humaines : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, etc.… (Tout cela faisant l’objet d’autres enseignements=Sutra)…
Ce « Sermon de Bénares » est le fondement de l’enseignement de Bouddha auquel adhèrent toutes les écoles bouddhistes. Puis d’autres Sutra ont développé, explicité, détaillé ce premier enseignement (il en existe plusieurs centaines) Ils essayent de décrire ce qu’est la nature profonde des individus, de l’existence et du monde et leurs relations. Voici donc très schématiquement les principaux éléments de cet enseignement :
I] La personnalité.
Elle est composée de ce que l’on appelle les cinq agrégats (Skanda = ensemble des phénomènes) où sont englobés tous les phénomènes mentaux et physiques de l’existence. Ce principe se comprend à deux niveaux : 1) Au niveau général les « agrégats » constituent l’ensemble des phénomènes existant dans l’univers. 2) Au niveau de l’individu, ils sont à la base de la personnalité (à la base de l’idée d’un « moi », d’un ego). Ils se décomposent ainsi :-1) le corps et les phénomènes d’ordre physiques, 2)-les sensations : les expériences sensible du corps au sein de son environnement, 3)-les perceptions ou représentations mentales (reconnaissance des choses dont on fait l’expérience), 4)- la volition, l’aspect décisionnel, intentionnel, 5)-La conscience qui réunit les informations des autres agrégats, c’est le « connaisseur » : conscience visuelle, auditive, mentale, etc.
II] L’impermanence. Tout ce qui existe dans l’univers, au niveau physique, biologique, psychologique, spirituel est impermanent. Tout les phénomènes qui apparaissent finissent par disparaître, ils portent en eux les causes de leur disparition. Pour le Bouddhisme il n’y a pas d’âme immortelle et éternelle, le « Soi » est aussi quelque chose de transitoire. La nature même de l’existence est ce flux d’apparitions et disparitions, naissances et morts. Cela rejoint le premier principe de la thermodynamique : « Rien ne se perd, rien ne se crée tout se transforme ».
III] L’interdépendance (ou coproduction conditionnée) et le « non-soi ».
Non seulement tout est impermanent et en incessantes transformations, mais tout les éléments qui composent l’univers, y compris les êtres vivants, n’existent pas par eux même mais par relations réciproques d’interdépendances. Celui qui écrit ces lignes n’existerait pas si deux gamètes ne s’étaient pas rencontrés un certain jour, s’il n’y avait pas l’air qu’il respire, le soleil qui le chauffe, la terre et son humus qui produit les aliments, les paysans qui les cultivent, etc., etc. Donc nous existons en fonction de causes et de conditions, rien n’existe sans causes… C’est la signification de « non soi », on dit aussi « vacuité » qui signifie vide d’existence par soi-même. Ceci nous permet de revenir à la deuxième Noble Vérité qui nous dit que notre « mal-être » vient du fait que nous nous considérons comme un « moi » autonome et indépendant, ce qui ne correspond pas à la réalité…Toute existence, toute vie est relation. Tout phénomène, tout être vivant n’existe qu’en relation, tout est relatif. Nous ne pouvons être sans les « Autres ». Pour le Bouddhisme les « Autres » ne sont pas seulement nos proches, ceux que nous aimons, mais aussi ceux que nous n’aimons pas, ceux qui sont différents, ceux que nous considérons comme nos « ennemis », les animaux, tous les êtres vivants, et finalement toute chose… Comprendre que tout n’est que relation, que nous n’existons que par les « Autres » et avec « les Autres » nous donne le sens de nos responsabilités dans nos rapports avec ceux-ci et avec notre environnement car tout ce que nous faisons, tout notre comportement ont des conséquences sur autrui, positives ou négatives… Bien comprendre ce qu’est l’interdépendance développe l’esprit de solidarité…
IV] Le Karma
Notion très importante. Difficile à expliquer en quelques mots. En simplifiant on peut dire que le Karma est le fait que tout ce que nous faisons, disons, pensons intentionnellement nous influence et nous conditionne, cela laisse des « traces » au plus profond de notre conscience qui engendreront tendances et habitudes, donc nos actes futurs. Une phrase du Bouddha résume très bien ce qu’est le karma : « Si tu veux comprendre ta situation présente regardes tes actions passés, si tu veux connaître ta situation future observes tes actions présentes »… C’est aussi le karma qui détermine la nature des renaissances…
La finalité de la pratique de la Voie de Bouddha c’est de prendre conscience de tout cela. C’est à dire « s’éveiller » à la compréhension de ce qu’est réellement l’existence, de ce que nous sommes réellement (c’est se libérer de « l’ignorance »). Ce qui implique nécessairement un travail sur soi. La pierre d’angle de ce travail sur soi est la méditation (zazen dans le Bouddhisme zen). Cette pratique nous ouvre l’esprit et change notre vision sur le monde, donc influence notre comportement dans la vie concrète. Comment vouloir transformer le monde si je ne me transforme pas moi-même ? On retrouve là la célèbre phrase inscrite sur le fronton du temple de la Pythie à Delphes : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux » et dont Socrate a fait sa devise. Ce qui fait écho aussi à ce qu’a écrit un grand maître Bouddhiste zen japonais du 13em siècle (Me Dogen) : « Etudier la Voie de Bouddha c’est s’étudier soi-même, s’étudier soi-même, c’est s’oublier soi-même, s’oublier soi-même c’est être en communion (ou unité) avec toutes les existences de l’univers, c’est abandonner la barrière entre soi et les autres ».
Dans le Bouddhisme on parle de « Nature de Bouddha ». Cette expression désigne le potentiel d’éveil qui habite en chaque être humain qu’il soit un criminel ou un sage… Mais il existe aussi dans le même être humain les « trois poisons » : l’avidité, la haine et l’ignorance, qui ont leur origine dans la « Soif »comme il a été expliqué plus haut. Cela signifie qu’en chacun il ya ces deux potentialités et donc qu’on ne peut pas diviser l’humanité en deux : d’un coté les « bons », de l’autre les « méchants ». Le « Bien » et le « Mal » existent en chacun de nous, la ligne de partage entre eux passe au travers de moi et de chacun d’entre nous.
Le bouddhisme se veut universel. C'est-à-dire que non seulement il s’adresse à tous, mais aussi il se veut « au dessus » et « au-delà » des lois humaines, des croyances, des idéologies, des opinions car tout cela est éphémère, transitoire, impermanent et ne sont que des artefacts… Il n’est pas non plus une théorie abstraite mais la description de la réalité. Il se veut expérimental : l’impermanence, l’interdépendance, le karma, chacun peut l’observer dans sa propre vie… Bouddha disait d’ailleurs : « Vous n’êtes pas obligés de croire ce que je dis, mais expérimentez-le et vous verrez par vous- même ».
C’est pour toutes ces raisons que lorsque l’on « suit la Voie de Bouddha », et que l’on a compris profondément et intimement la réalité de l’impermanence, de l’interdépendance, du Karma et le sens du « Sermon de Bénarès », on ne peut avoir une attitude de rejet, de discrimination, de stigmatisation ou de haine envers ceux qui ne pense pas comme nous, qui n’ont pas les mêmes comportements que nous, ne s’habillent pas comme nous, n’ont pas le même style de vie que nous... Avant d’être français, allemand, chinois, catholique, musulman ou bouddhiste, catégories qui ne sont que des artefacts éphémères et transitoires (Impermanence), nous sommes d’abord des êtres humains, catégorie plus vraie car non artificielle… Être dans une attitude de rejet et de discrimination est en contradiction avec ces grands principes de l’enseignement de Bouddha que je viens d’évoquer trop succinctement… Le principe du « bouc émissaire » est complètement étranger au Bouddhisme… Un Bouddhiste se tient dans le non-jugement de l’Autre. Il ne porte aucun jugement sur ce qu’il est, sur ses opinions ou son style de vie. Mais il observe seulement les actes. Car dans la relation à l’autre qui tisse notre existence ce qui est important ce sont les conséquences de nos actes sur soi-même (karma) et sur autrui (interdépendance). Ce qui est important c’est ce que l’on fait et comment on le fait… Les valeurs premières du Bouddhisme sont le respect de l’autre, la bienveillance et la compassion envers tout ce qui vie… Il y a une incompatibilité totale entre le Bouddhismes et les idéologies extrêmes qui sont discriminatoires, nationalistes, intolérantes, racistes et qui mettent toute leur énergie à élever des barrières entre soi et les autres et qui ne voient les relations humaines qu’en termes de conflits ! (Le Bouddhisme est la « Voie du milieu »). Motivé par la compassion et l’ouverture à l’autre, le bouddhiste est interpelé par l’injustice, la misère et la souffrance que subit une grande partie de l’humanité, mais aussi par les souffrances infligées aux animaux et par la destruction de notre environnement et dont les causes profondes ont été développées plus haut (La Soif »…
Le Bouddhisme n’est pas tellement un savoir théorique, il est surtout une pratique, un style de vie, une « façon de faire qui résulte d’une manière d’être…
Voici quelques citations pour illustrer ce qui vient d’être dit.
Le Bouddha : « Jamais la haine n’éteint la haine en ce monde, Par l’amour seul la haine est éteinte ». (Dhammapada, 5).
Shantideva : « Toutes les joies de ce monde proviennent du désir du bonheur d’autrui, tous les malheurs de ce monde proviennent du désir de son propre bonheur ».
Thich Nhat Hanh : « La compassion est le combustible de toute action sociale. Si on ne parvient pas à ressentir la souffrance d’autrui, on n’est pas vraiment humain… ».
J’arrête là, ce texte est long pourtant il y aurait encore beaucoup de chose à développer, mais il me semble avoir résumé l’essentiel. Si vous pensez que ce que j’ai écrit n’est pas conforme au Bouddhisme, consultez les enseignements de Bouddha (les Sutra). On en trouve un certain nombre en librairie ! ». Voici des ouvrages qui me semblent importants pour une approche du Bouddhisme : « L’enseignement du Bouddha » de Walpola Rahula ; « Sermons du Bouddha » traduits et présentés par Môhan Wijayaratna ; il y a aussi « Le dictionnaire encyclopédique du Bouddhisme ». Vous pouvez aussi consulter les Sites bouddhistes, ils sont nombreux mais de valeurs inégales. Et si vous pensez que j’ai fait des entorses à la doctrine merci de me le faire savoir en apportant références et arguments. Je vous en remercie !
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