Contestation du GIEC : l’inaccessible seuil de compétence...
Est-il possible à un individu isolé, ou à un groupe d’individus, de formuler une contestation des conclusions du GIEC (ou IPCC) qui aurait une valeur d’un niveau comparable à ces conclusions et pourrait donc les remettre en question ?
La question mérite d’être posée et examinée de près car les contestations fleurissent, elles alimentent un peu partout dans le monde les blogs, les chroniques internet, sur journaux papier ou les émissions TV....
Il y a là un véritable problème pour notre société, celui que chacun puisse déterminer parmi toutes les propositions disponibles sur un sujet donné celles auxquelles il doit se référer afin de pouvoir exercer en connaissance de cause sa citoyenneté.
Si chacun, ou des comités restreints, avait la capacité de produire des résultats de haut niveau en climatologie et dans les diverses disciplines réunies par le GIEC, pourquoi aurait-on pris la peine de créer cet instance et d’y faire collaborer des milliers de scientifiques reconnus ?
La réponse pourrait être : les phénomènes à prendre en compte, à disséquer, à mettre en interaction dans des modélisations complexes sont à ce point nombreux, difficiles à identifier, à quantifier, à comprendre... qu’il est indispensable d’avoir recours à de nombreuses disciplines réunissant chacune de nombreux spécialistes.
Ce qui d’emblée serait susceptible de disqualifier toute approche tentée par un individu ou un petit groupe.
Et cela même si cet individu ou si les participants à ce petit groupe répondaient aux caractéristiques de « scientifiques reconnus » : l’ampleur et la difficulté de la tâche implique la grande taille de l’effectif, la variété des qualifications et leur très haut niveau.
Même avec ses milliers de participants de très haut niveau le GIEC ne nous fournit pas de certitudes absolues (qui, quelles qu’elles puissent être, nous seraient d’un grand secours) pourtant des individus ou petits groupes d’individus avancent sans broncher des conclusions inverses à celles du GIEC comme représentant « la » vérité, celle qu’ils défendent et qui, éventuellement, serait susceptible de recueillir une majorité de voix dans un débat démocratique.
Nous sommes là confrontés au danger de passer à l’écart de ce qui devrait nous guider, au danger de nous lancer dans des directions où nous mettrions notre avenir en péril.
Il existe par exemple un débat sur les neiges du Kilimandjaro : elles fondent depuis longtemps et l’on peut penser qu’elles disparaîtront à relativement brève échéance.
« Le glacier du Kilimandjaro a perdu 85% de sa surface en un siècle et aura disparu d’ici 20 ans »
Si certains avancent que cette fusion des glaces est imputable au réchauffement global d’autres mettent en accusation la déforestation, très importante, dans les zone voisines de ce sommet, qui aurait profondément modifié le régime des pluies dans cette région.
Le Kilimandjaro recevrait trop peu de précipitations pour que ses « neiges éternelles » le demeurent longtemps, tandis que les températures au sommet n’auraient jamais dépassé 0°C.
« Kilimanjaro’s snows have been vanishing for a very long time »
Mais ne faut-il pas relier ce manque de précipitations aux sécheresses intenses répertoriées dans divers pays d’Afrique (la déforestation locale perdrait alors son rôle prépondérant dans la fonte) et au « reverdissement » de certaines zones sahéliennes, le tout pouvant constituer diverses manifestations du réchauffement global agissant en interaction pour causer un remaniement des flux d’air qui apportent – ou non – des précipitations ?
Cette fonte n’est-elle pas prise dans un réseau d’interactions beaucoup plus complexe ?
Je crains qu’il ne soit pas à la portée d’un individu d’apporter – même en quelques mois de travail – une réponse crédible à une telle interrogation.
A défaut de cette réponse il sera pour le moins extrêmement hasardeux de déduire de la fonte des glaces du Kilimandjaro une conclusion sur le réchauffement global.
On voit qu’il n’est pas possible – et qu’il serait irresponsable – de tirer une conclusion générale d’un seul phénomène sur l’étude duquel persisteraient des zones d’ombre, des questions sans réponses.
Mais tirer des conclusions définitives, absolues, à partit d’un matériel minimaliste semble être l’apanage des « anti réchauffistes » de tous poils et plus largement d’un certain nombre de ceux qui désirent formuler, à quelque titre que ce soit, des reproches à l’encontre du GIEC : tous cherchent fébrilement l’argument, souvent « la » courbe, qui sera susceptible de discréditer en bloc l’ensemble des travaux du GIEC.
Il s’en trouve pour adhérer à ce type d’argument, lorsqu’il est présenté (ce dont certains personnages dotés de quelque renom ne se privent pas) et qui ne sera pas scrupuleusement évalué avant d’être relayé par la presse ou quelques blogs.
Ainsi se construisent des bruits qui pourront courir un certain temps, avoir un impact dans le public sans correspondre à aucune réalité du point de vue de l’évolution du climat ni à aucune caractéristique de ce que doit être la science.
Cette démarche s’appelle « examiner la réalité par le petit bout de la lorgnette », elle ne mène nulle part d’un point de vue scientifique tout en bénéficiant d’une couverture médiatique souvent importante.
Il est certes tentant de penser que l’on parvient à comprendre un phénomène, et que par conséquent l’on peut extrapoler ce que l’on croit comprendre pour en déduire une perspective sur l’avenir : l’examen d’un graphique peut illusionner, ce qui se produit souvent.
Prenons un exemple sur une courbe fictive.
La courbe verte représente un phénomène (P1) que l’on aurait mesuré, la courbe bleue est la tendance calculée à partir de cette courbe verte (droite de régression).
Si l’on avait calculé cette tendance à la date du plus haut sommet de la courbe verte (point H) sa pente aurait été plus forte, et l’on aurait pu en déduire une hausse plus importante que celle constatée après coup pour les années ultérieures au point H.
Or cette courbe verte est la moyenne des courbes en pointillé, qui représentent des phénomènes sous-jacents, connus ou non, qui conditionnent l’état du phénomène P1 : c’est bien une situation qui se rencontre dans les études sur l’évolution du climat.
On peut imaginer un cas où l’on connaît seulement certains des phénomènes sous-jacents (qui eux-mêmes peuvent être la résultante d’autres phénomènes...) : que se passe-t-il si l’on connaît ceux représentés par la courbe bleue et la blanche représentées en pointillés, mais pas le bleu clair et le violet ?
Il faudra calculer une fonction, à partir des tracés pointillés bleu et blanc, qui puisse produire comme résultante la courbe verte.
Cette fonction sera, au moment du calcul, le meilleur de ce que l’on puisse faire et servira à calculer une projection dans l’avenir afin de déterminer l’évolution de la courbe verte et sa tendance.
Mais cette fonction n’aura jamais la qualité des courbes réelles des phénomènes inconnus qu’elle représente : la périodicité et l’amplitude de chacun demeure inconnue.
La prévision que l’on obtient n’est pas d’une très grande qualité : il faut le savoir et en tenir compte.
Si les scientifiques livrent au public sans plus d’explication un graphique où sont présentes les courbes en traits pleins (verte et bleue, mesure et tendance) l’extrapolation semblera évidente et personne ne se privera de la faire, de prolonger la courbe de tendance afin d’en tirer une conclusion... qui aura à peu près autant de chance d’être vérifiée ou invalidée dans l’avenir : elle n’aura aucune valeur.
Avançons maintenant de quelques années :
L’évolution de certains phénomènes a conduit à ce que le phénomène P1 résultant perde de l’amplitude, et la nouvelle courbe de tendance représentée en noir a une pente très sensiblement plus faible que la courbe bleue calculée quelques années avant.
Les extrapolations effectuées par tout un chacun à partir des courbes diffusées au public auraient-elles permis de déterminer cette tendance en noir ?
Par contre les modélisations effectuées par des scientifiques à partir des données disponibles et de la fonction calculée auraient eu beaucoup plus de chances d’approcher cette courbe noire.
Avançons encore de quelques années :
La courbe rose représente la tendance sur le phénomène P1 (courbe verte), et l’on constate que sa pente est intermédiaire entre la bleue et la noire.
Cette représentation simpliste des problématiques que l’on peut rencontrer dans l’étude du climat incite à penser qu’il est réellement impossible de tirer des conclusions valables sur un coin de table à partir d’une courbe trouvée dans un article de vulgarisation : s’abstenir de ce genre d’exercice pourrait même constituer un gage de sérieux.
Pour se tirer honnêtement de ce genre de problématique il faut disposer d’un ensemble de données de base que l’on saura interpréter et éventuellement corriger des biais que l’on aura identifiés.
Puis il faudra ensuite disposer d’un système de modélisation performant, savoir y introduire de façon correcte les données significatives, les ajuster à l’aide des paramètres appropriés et lancer les calculs.
Lorsqu’ils seront faits il faudra savoir les interpréter, éventuellement les corriger, si possible recommencer la modélisation avec un autre système ou d’autres paramètres...
Inutile de rappeler que la plupart des modélisations effectuées pour tenter de connaître notre avenir climatique sont hors de portée d’un ordinateur de bureau, même « turbo boosté à donf » : ces calculs se font sur des machines qui figurent parmi les plus puissantes du monde et peuvent durer quelques mois !!!
Le « simple » problème que représente la qualification des données s’avère déjà difficile à traiter, et parfois la controverse porte sur les données retenues pour effectuer certains calculs : c’était récemment le cas pour la série dendrochronologique de Yamal par exemple.
On trouvera trace de cette controverse sur le blog « Real Climate » (« Real science from climate scientists ») par ailleurs largement relayée sur des blogs francophones (je ne fournis que ce lien car il s’y trouve une clarification de la critique soulevée, dont on s’aperçoit qu’elle n’avait pas lieu d’être – désolé : c’est en anglais...).
On s’aperçoit donc que le fait de disposer de données, aussi excellentes soient-elles, ou de quelques graphiques ne suffira jamais à établir des constats fiables et encore moins des prévisions : tout un matériel de connaissances et de machines, inaccessible au « commun des mortels » (individus, groupes informels, « think tanks » de tous acabits...), est indispensable pour traiter des questions à ce point complexes.
Cela n’empêche pourtant pas certaines personnes de persister à diffuser des critiques des conclusions du GIEC sur la base de données qu’elles savent fausses et avec des raisonnements d’interprétation dont elles connaissent la faiblesse extrême, le manque de rigueur et d’exactitude.
C’est notamment le cas d’une personne abondamment citée, comme une "référence", par les "anti-réchauffistes" : Vincent Courtillot.
Dans un article intitulé "Claude Allègre insulte à nouveau les climatologues" (désormais bien connu pour, lui aussi, réitérer ses erreurs : "L’Organisation Météorologique Mondiale dément Claude Allègre") Sylvestre Huet nous rappelle la "série d’erreurs monumentales" que Courtillot ne cesse de diffuser et explique la raison de cette persistance dans l’erreur...
Le "manque abyssal de sérieux et de compétences sur ce sujet" (en reprenant les termes de Sylvestre Huet) de Courtillot étant connu et expliqué, le fait que certains puissent encore le prendre pour référence signe aussi l’incompétence de ces derniers...
Est-ce pour autant que personne ne pourrait critiquer les conclusions du GIEC ?
Il n’est, fort heureusement, effectivement pas interdit par la loi d’émettre des critiques mais avant de les prendre pour argent comptant il faut être capable d’en évaluer la qualité par rapport aux conclusions qu’elles prétendent mettre en défaut.
Mais qui dispose, à ce jour, des capacités (intellectuelles, matérielles, financières et du temps) indispensables pour analyser en profondeur les travaux des scientifiques du GIEC afin de pouvoir émettre une opinion fiable, digne de foi, sur ces travaux et les conclusions qui en émanent ?
Probablement absolument personne : face à cette affirmation certains seront peut-être tentés de crier au scandale...
Eh quoi ? Un organisme dont il ne serait pas possible de critiquer les conclusions est-il envisageable dans un système qui se voudrait démocratique ?
Posée de cette façon, évidemment, la question... interroge !
Mais je crains que la question ne puisse être posée en ces termes, du simple fait de la structure du GIEC et de son mode de fonctionnement.
Car le GIEC n’est pas un monolithe au sein duquel on marcherait droit, à la baguette, en « suivant la consigne » mais il rassemble des gens entre lesquels de très nombreuses controverses fleurissent : il y a, de façon très systématique et dans bien des cas en temps réel, examen par les collègues des résultats de chacun, ce qui permet une progression parallèle et conduit à un meilleur « progrès de la science ».
C’est dire que la critique (et la démocratie) a pu s’exercer, et a eu lieu, avant même que n’importe quelle conclusion ait franchi le seuil de la publication (et qu’elle se poursuit après cette publication), mais que cette critique s’est faite entre personnes capables de maîtriser les mêmes niveaux de difficultés, le plus souvent hors de portée de chacun d’entre nous car chacun d’entre nous ne dispose pas de l’ensemble des connaissances très spécialisées pour traiter correctement certains problèmes.
En lisant "Muddying the peer-reviewed literature" on trouvera un exemple de ces échanges qui ont lieu entre scientifiques, desquels la contestation n’est pas absente, et qui constituent un mécanisme susceptible de traquer les erreurs commises par les uns (depuis que l’on sait que les cochons, les pies, les éléphants... peuvent se reconnaître dans un miroir et que certaines corneilles savent fabriquer des outils, la capacité à commettre des erreurs est probablement une excellente façon de différencier l’humain de l’animal !) afin que tous puissent profiter de références plus fiables.
En fin de compte : non, on ne peut pas s’improviser « critique des conclusions du GIEC », même si on en a la possibilité légale, et prétendre être crédible.
Lors d’une analyse sanguine, qui va s’acharner à trouver une faille dans l’ensemble des processus mis en oeuvre pour obtenir des résultats fiables et susceptibles de constituer une image correcte de notre état de santé ou de nos pathologies ?
Personne : c’est une affaire de spécialistes dira-t-on !
Soumet-on au vote démocratique le choix des matériaux dans lesquels on réalisera des prothèses de la hanche ?
Eh bien la climatologie est également une affaire de spécialistes, il faut en avoir conscience !
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