Hydroxy-chloroquine : et si on refaisait un peu de science ?!
Tout le monde (en tout cas beaucoup de monde) crie au loup sur les effets du Plaquenil (hydroxy-chloroquine ou HCQ) et les experts en "chloroquine" fleurissent chaque jour. A un moment donné, il convient cependant de (re)faire de la science, de revenir au factuel au lieu de partir dans de l'opinion et des avis non étayés. Médecin généraliste de formation, je propose ici un survol de la bibliographie existante concernant les effets secondaires : c'est édifiant ! En bref, aucune raison valable d'attendre !!
Tout le monde (en tout cas beaucoup de monde) crie au loup sur les effets du Plaquenil (hydroxy-chloroquine ou HCQ) et les experts en "chloroquine" fleurissent chaque jour. A un moment donné, il convient cependant de (re)faire de la science, de revenir au factuel au lieu de partir dans de l'opinion et des avis non étayés. Médecin généraliste de formation, je propose ici un survol de la bibliographie existante concernant les effets secondaires : c'est édifiant ! En bref, aucune raison valable d'attendre !!
Ayant exercé comme généraliste en libéral en pendant plus de 10 ans avant de créer une entreprise dans un tout autre domaine il y a plus de 5 ans, je me sens concerné par les débats actuels qui me semblent clairement irrationnels. Je précise d'entrée de jeu, je ne suis pas un spécialiste de l'hydroxy-chloroquine, juste un médecin de formation qui fait une évaluation classique du sujet comme cela peut être fait pour n'importe quel autre sujet médical. D'autre part, ma situation actuelle qui me place un peu "en dehors du jeu" est finalement un atout pour prendre un peu de recul et prendre le temps d'analyser la bibliogrpahie, ce qui n'est pas simple lorsque "l'on est le nez dans le guidon". Cela peut rapidement prendre quelques heures pas faciles à trouver.
Bref, donc voici une simple bibliographie que n'importe quel médecin pourra prendre le temps de regarder comme base de réflexion et que surtout n'importe quel "expert" ou média qui chercherait à écrire un contenu à peu près étayé scientifiquement peut faire au lieu de rester dans la discussion d'opinion à peu près sans intérêt sur un sujet finalement très factuel au final. Le première bonne nouvelle, c'est que la bibliographie est très fournie ! Il suffit de se baisser pour trouver l'info...
Juste une précision technique, il ne faut pas confondre la chloroquine (notée CQ ci-dessous) et l'hydroxy-chloroquine (notée HCQ) qui est la forme utilisée par le professeur Raoult notamment.
Comme point de départ, voici une étude de la FDA (Food And Drug Administration - USA) sur 53000 patients prenant de l'hydroxy-chloroquine ( noté HCQ dans la suite ) : https://www.ehealthme.com/drug/plaquenil/side-effects/ (FDA)
Les statistiques sont intéressantes car les effets indésirables sont classés notamment par fréquence de survenue en fonction de la durée de traitement, ce qui est essentiel ici puisque l'on parle d'un traitement de quelques jours pour le coronavirus. On voit que les cas d'effets secondaires rapportés pour les traitements de moins de 1 mois sont :
- Acute generalised exanthematous pustulosis (acute febrile drug eruption)
- Drug eruption (adverse drug reaction of the skin)
- Arthralgia (joint pain)
- Agranulocytosis (a deficiency of granulocytes in the blood, causing increased vulnerability to infection)
- Pruritus (severe itching of the skin)
La fréquence de certains effets indépendamment de la durée de prise est par ailleurs documentée ici (en 2ème moitié de page) : https://www.drugs.com/sfx/plaquenil-side-effects.html
Effets graves survenant à moins d'un mois de traitement (étude FDA)
Agranulocytose
L'effet grave survenant à moins d'un mois de traitement est l'agranulocytose, les autres effets indésirables étant essentiellement des effets dermatologiques et ou rhumatologiques à priori gérables sans risque de mortalité.
Concernant les cas d'agranulocytose avec l'hydroxychloroquine, on trouve notamment ceci : "Agranulocytosis is a rare and little-known side effect of hydroxychloroquine use." https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5042238/
Point essentiel "In the case reports found, all the patients appear to have been on hydroxychloroquine for several months before developing agranulocytosis, as in our case (2). In all cases, recovery from agranulocytosis followed after the discontinuation of hydroxychloroquine."
En clair :
- la majorité des cas survient après plusieurs mois de traitement et il faut plusieurs mois avant de voir apparaître cet effet secondaire... donc ce n'est pas en 6 jours de traitement que l'on prend un risque majeur. Ce qui n'empêche pas la surveillance.
- tous les cas régressent à l'arrêt du médicament, ce qui veut dire qu'en pratique, avec 6 jours de traitement par HCQ, on n'a probablement même pas le temps de la voir apparaître que le traitement sera déjà terminé.
Ceci étant, il est licite de prévoir une numération sanguine avant le traitement chez un patient covid-19 positif ainsi que durant et en fin de traitement. Protocole à préciser selon le retour de terrain, mais rien de compliqué.
D'autre part, cet effet n'est de toute façon pas mortel en soi, le risque étant essentiellement infectieux. La prescription d'un antibiotique, l'azithromycine en l'occurrence, est donc pertinente dans ce contexte.
Exanthème généralisé
L'autre effet secondaire potentiellement sévère est l'exanthème généralisé dont il faut dire d'une part que l'HCQ peut être l'un des traitements d'une part, et d'autre part que les exanthèmes généralisés HCQ-induits en plus d'être rares sont généralement spontanément résolutif ou sous traitement comme le rapporte ce papier :
"Successful Treatment of Hydroxychloroquine-Induced Recalcitrant Acute Generalized Exanthematous Pustulosis with Cyclosporine : Case Report and Literature Review" https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4530154/
Là encore donc, un effet indésirable rare et non mortel si il survient.
Effets indésirables graves connus mais non reportés à moins d'un mois de traitement (étude FDA)
Bien que pas reportés dans l'étude FDA parmi les "side effects" à moins d'un mois, d'autres effets indésirables font "peur" à priori (ce sont eux qui sont relayés/évoqués dans les médias en long en large actuellement...), notamment :
- cardio-myopathie
- trouble du rythme grave
- rétinopathie
J'analyse ici la fréquence de ces effets au vu de la bibliographie malgré tout (au cas où çà soit passé sous le radar de l'étude de la FDA, sait-on jamais...), bien que encore une fois, il ne sont pas rapportés par l'étude de la FDA pour les traitements de moins de 1 mois.
Cardio-myopathie
Un des effets indésirables "qui fait peur" est la cardio-myopathie sous HCQ plutôt obtenue avec la CQ d'ailleurs. 70 cas recensés en tout et pour tout dans toute la littérature pour des 10aines de milliers de patients traités ce qui fait une incidence plutôt faible.
Hydroxychloroquine cardiotoxicity presenting as a rapidly evolving biventricular cardiomyopathy : key diagnostic features and literature review https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3760572/
Noter que le même papier indique : "Risk factors for the development of HCQ-induced cardiotoxicity are thought to include older age, female sex, longer duration of therapy (>10 years), elevated per-kilogram daily dose, pre-existing cardiac disease, and renal insufficiency."
Donc, on voit clairement ici "traitement de longue durée, supérieur à 10 ans"... le risque d'apparition en 6 jours est donc à priori extrêmement limité pour ne pas dire plus.
Allongement du QT et trouble du rythme paroxystique (TdP ou torsades de pointes)
Toujours concernant les effets qui font "peur" avec un risque réel de mortalité potentielle cette fois, il y a le risque d'allongement du QT qui peut aboutir à des torsades de pointe, trouble du rythme potentiellement mortel. On apprend ici "Life Threatening Severe QTc Prolongation in Patient with Systemic Lupus Erythematosus due to Hydroxychloroquine" https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4960328/ que :
- 1°) l'HCQ n'est même pas dans la liste des médicaments considérés comme à risque
- 2°) "Of the documented medications known to cause QT interval prolongation hydroxychloroquine (HCQ) is extremely rare in the literature."
J'insiste et je souligne : "de toutes les médications documentées causant l'allongement de l'intervalle QT, l'hydorxy-chloroquine est "extrêmement rare" dans la littérature". En fait, il y a plusieurs autres médicaments utilisés quotidiennement qui présentent un risque plus avéré que l'hydroxy-chloroquine.
En pratique, on pourra effectivement prévoir, comme le fait l'équipe du Professeur Raoult à ma connaissance, un ECG de pré-traitement et éventuellement pendant le traitement.
On pourra également prévoir un ionogramme de pré-traitement pour s'assurer qu'il n'existe un trouble ionique potentiellement favorisant (la kaliémie et la calcémie notamment).
Là encore, on parle d'une pratique médicale tout à fait banale, quitte à mettre en place un système d'avis cardiologique centralisé par télé-consultation pour encadrer une prescription en grand nombre d'hydroxy-chloroquine, mais, franchement, rien d'exceptionnel comparativement à de la réanimation potentielle... ET encore une fois, une revue de la littérature rapporte un effet extrêmement rare.
Rétinopathie
Autre effet secondaire invoqué, les atteintes rétiniennes qui là encore est un effet secondaire à priori de long terme : "it may cause severe retinopathy with long-term use." https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6455786/
Le risque de survenue est de l'ordre de 1% sur les 5ères années de traitement : "the risk of developing retinal toxicity was less than 1% in patients taking HCQ less than 5 mg/kg/day in the first 5 years of therapy."
En pratique
Bref, l'HCQ est un médicament qui n'est pas particulièrement plus dangereux que n'importe quel autre antibiotique, notamment en ce qui concerne le risque d'allongement du QT et torsade de pointe, seul effet indésirable potentiellement mortel, mais "extrếmement rare" sous HCQ au vu de la littérature.
Les autres effets indésirables rapportés ne sont pas mortel en soi et peuvent être gérés et restent rare de toute façon.
En pratique, il s'agit simplement de faire de la médecine, à savoir :
- encadrer correctement le traitement par un ECG, une prise de sang avec ionogramme (potassium, calcémie notamment) et une NFS de surveillance concernant le risque d'agranulocytose.
- gérer les éventuelles interactions à risque
Bref, on parle ici de la mise en place d'un protocole médical qui peut être ajusté au vu de l'expérience et retour de terrain des différentes équipes, mais franchement rien d'extraordinaire, surtout si l'on envisage la prise en charge en milieu hospitalier.
En clair, c'est de la pratique courante et du quotidien pour les médecins. Et on ne voit aucune raison rationnelle de considérer la proposition du Dr Raoult de traiter par hydroxy-chloroquine comme quelque chose de dangereux. Que l'essai soit "imparfait" et demande à être confirmé est une chose, mais entre "ne rien faire" et faire quelque chose qui semble fonctionner et pas risqué, le choix est vite fait il me semble.
Conclusion
Vu que le risque pris en l'absence de tout traitement est une mortalité de l'ordre de 4% d'une part et d'autre part une saturaton du système de soin par de nombreux patients en réanimation (de l'ordre de 6% à 10% des cas ), je ne vois vraiment pas où est le problème de prescrire l'HCQ pendant 6 jours pour traiter le coronvirus diagnostiqué par test positif, par tout médecin digne de ce nom qui fait un tant soit peu de science factuelle.
C'est la seule molécule qui a montré au moins un signal d'efficacité à défaut d'une preuve, et les essais en cours diront ce qu'il en est exactement. Mais concrètement, la différence versus le risque avec traitement versus le risque sans traitement est telle que c'est totalement rationnel de traiter dès maintenant, quitte à adapter secondairement.
D'ailleurs, les faits sont là :
- le professeur Raoult annonce 1300 cas traités et 5 décès soit 0,4% de mortalité
- la France, c'est 25233 cas rapportés pour 1331 décès soit une mortalité de l'ordre de 5%, soit 10 fois plus que les séries Prof Raoult...
D'un point de vue juridique, la bibliographie existante permet très largement de "couvrir" la responsabilité des médecins prescripteurs qui pourront la justifier au vu des données existantes.
Notons au passage que la décision des autorités sanitaires d'autoriser le traitement "des cas de formes graves" semble être à contre-temps de ce qu'il faut faire : lorsque le patient est en réanimation, de l'aveu même du professeur Raoult, le traitement n'aura plus d'effet, les lésions étant déjà là. Non, à l'inverse, il faut traiter dès le diagnostic positif les formes symptomatiques.
On attend quoi ?
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