La sensibilité au gluten : mythe ou réalité ?
La sensibilité au gluten est une affection de plus en plus à la mode ces dernières années, comme souvent le phénomène semble venir des USA où l'on compte désormais près de 30 % de la population essayant de diminuer sa consommation de gluten (1).
En rapport avec cette tendance le marché des produits sans gluten explose avec des projections avoisinant les 4.3 milliards de dollars pour l'année 2015 aux USA (2).
Les personnes adhérentes au régime sans gluten attribuent à cette pathologie un très grand nombre de symptômes dont la plupart peuvent être ou non d'origine psychosomatique, mais également des affections plus graves comme les syndromes autistiques, la schizophrénie...
Ce nouveau phénomène va en s'amplifiant et touche désormais l'europe plus ou moins poussé par l'industrie agroalimentaire.
Qu'en est-il vraiment ? cette affection est-elle réelle ? Je vais donc reprendre dans cet article les définitions et les différentes maladies liées au gluten afin d'avoir une vision globale d'un problème qui reste complexe et encore mal connu.
Le gluten :
Tout d'abord, définissons le gluten , il s'agit d'un complexe protéique composé de centaines de protéines (une protéine étant composée de chaines d'acides aminés) et contenu dans un très grand nombre d'aliments depuis l'avènement de l'agriculture car il est présent dans la plupart des céréales, le blé, l'épeautre, l'orge, le seigle...
Il est pour l'essentiel composé de gliadine et de gluténine, mais celles-ci se décomposent également en de multiples peptides et on compte au moins 50 peptides différents de la gliadine pouvant avoir des effets sur le système immunitaire ou déclencher des processus de l'inflammation (3).
Pour autant, dans les cérales que nous mangeons comme le blé il existe d'autres protéines pouvant avoir des effets "comparables" comme les lectines, ou encore les agglutinines de germe de blé (4) (5) et enfin les alpha-amylases et inhibiteurs de la trypsine ou ATIs.
Il est important de rappeler que ces protéines ne déclenchent pas ces effets particuliers chez toutes les personnes en absorbant car il faut réunir d'autres facteurs pour qu'elles s'avèrent toxiques en particulier des modifications de la jonction serrée et de la perméabilité intestinale (6) et peut-être également des modifications du microbiote (7).
A noter que la production agricole actuelle a favorisé des blés avec des taux plus importants de ces peptides toxiques du blé (8) et que les productions actuelles de pain ont des temps de fermentation plus courts induisant une augmentation du taux en gluten (9).
La maladie cœliaque :
Celle-ci est connue depuis longtemps, cependant ces dernières années la description de nouvelles pathologies liées au gluten et les avancées de la recherche ont fait évolué sa définition.
Autrefois reconnue comme une maladie auto-immune d'organe déclenchée par le gluten et plus précisément la gliadine avec une entéropathie chronique, le tube digestif étant le seul organe atteint par la maladie, désormais on peut parler de plus en plus, même si cela reste controversé, d'une maladie auto-immune systémique touchant plusieurs organes.
Ainsi, on compte parmi les pathologies pouvant s'inscrire dans cette nouvelle définition de la maladie cœliaque la dermatite herpétiforme, l'ataxie cérébelleuse au gluten, certaines neuropathies périphériques sensitivomotrices longueurs dépendantes et des encéphalopathies au gluten (10).
De plus, les liens entre la maladie coeliaque et le diabète de type 1 ainsi que la thyroïdite de hashimoto sont connus de longue date.
La maladie cœliaque serait donc une maladie de système touchant différents organes déclenchée par un facteur environnemental, le gluten chez des personnes avec des prédispositions génétiques (les haplotypes HLA DQ2 et DQ8).
Cette maladie touche environ 1 % de la population et est très sous diagnostiquée car bien souvent seules les formes les plus sévères amènent les médecins à rechercher la pathologie (11).
Dans sa forme classique elle donne des diarrhées chroniques avec amaigrissement, fatigue, elle se diagnostique par le dosage des anticorps anti-transglutaminase dans le sang et par des biopsies du duodénum réalisées lors d'une fibroscopie gastrique et montrant une atrophie villositaire de la muqueuse.
La grande sensibilité et spécificité des derniers tests sérologiques peuvent permettre de se passer de biopsie pour un certain nombre de cas particulièrement en pédiatrie.
Le traitement de cette maladie repose sur l'exclusion absolue du gluten dans l'alimentation à vie, ce régime est complexe à mettre en oeuvre ; très contraignant il peut conduire à des carences alimentaires si il est mal conduit et le retentissement social pour les malades est important (12).
Les allergies au blé :
Il existe différente formes d'allergies au blé, il s'agit ni d'intolérance ni de maladie auto-immune mais bien d'un processus IgE médié diagnostiqué essentiellement par le dosage des IgE spécifiques et des tests cutanés,les symptômes surviennent peu de temps après l'ingestion (quelques minutes à quelques heures).L'allergie alimentaire classique déclenche des signes digestifs et/ou cutanés (urticaire) et/ou respiratoires (asthme) (13).
il existe également l'asthme de baker (déclenché par certains ATIs), l'urticaire de contact et l'anaphylaxie déclenchée par l'effort induite par le gluten (WDEIA en anglais) (13).
La fréquence de ces affections varie selon les études mais tourne autour de 1 à 2% de la population (13).
La sensibilité au gluten non cœliaque :
Après avoir fait un rapide rappel des maladies connues et reconnues liées au blé ou au gluten que sont la maladie cœliaque et les allergies au blé, nous allons aborder cette nouvelle entité clinique encore controversée mais qui commence à être mieux acceptée. Les premières descriptions suggérant cette pathologie remontent à 30 ans (14), mais elles n'ont pas déclenché d'autres investigations sérieuses avant 2008 et les malades n'étaient tout simplement pas traités et fréquemment adressés en psychiatrie (15).
Il n'existe aucune étude épidémiologique fiable actuellement mais cette affection semble toucher de 1 % à 2% de la population (16).
Actuellement, les derniers essais controlés randominés réalisés en double aveugle et en cross-over plaident pour l'existence d'une entité clinique séparée de la maladie cœliaque et des allergies au blé. Il s'agit de patients présentant des signes digestifs et extra digestifs le plus souvent quelques heures à quelques jours après l'ingestion de gluten mais chez qui la maladie cœliaque ainsi que les allergies au blé ont été écartées (17) (18).
Dans deux études les patients testés étaient des personnes se disant sensibles au gluten pour autant seuls 6 % et 8% d'entre elles se sont avérées réellement sensibles au gluten, il existe un effet nocebo important ce qui indique que la plupart des patients auto-diagnostiqués n'ont en réalité aucune sensibilité au gluten (17) (18).
Les mécanismes de cette maladie sont encore à l'étude bien qu'il s'agisse également de mécanismes immunologiques mais privilégiant la réponse immunitaire innée contrairement à la maladie cœliaque (19).
Le diagnostic de cette nouvelle entité repose d'abord sur l'exclusion de la maladie cœliaque et des allergies au blé, il n'existe aucun test de laboratoire pour un diagnostic positif et le seul moyen de poser le diagnostic est de faire réaliser un essai en aveugle au patient avec réintroduction du gluten,une procédure trop lourde pour la pratique clinique courante et qui n'est réalisée que lors des études (13).
Les autres intolérances alimentaires :
Le diagnostic et a fortiori l'autodiagnostic de la sensibilité au gluten non cœliaque est rendu encore plus complexe car d'autres intolérances existent :
-L'intolérance au lactose : Le lactose est un disaccharide hydrolysé dans notre tube digestif par une enzyme nommée la lactase et permettant une absorption par le tube digestif. Une très large partie de la population mondiale présente une malabsorption du lactose, car cette lactase présente à la naissance pour absorber le lactose maternel diminue au sevrage de l'enfant, seules les populations occidentales maintiennent par un apport régulier de lait de vache un taux de lactase suffisant (20).
Lorsque le lactose n'est pas absorbé celui-ci arrive jusqu'au côlon et la fermentation par le microbiote induit une production de gaz (hydrogène, méthane) induisant distension colique et potentiellement des douleurs et des spasmes chez les patients prédisposés (20).
-Les intolérances aux autres FODMAPs : Cet acronyme anglais regroupe en fait tous les carbohydrates à chaine courte qui sont souvent peu absorbés par l'intestin et induisant une fermentation colique tout comme le lactose. Les FODMAPs ont aussi un effet osmotique avec augmentation de la quantité d'eau dans le tube digestif induisant une distension et de la diarrhée (21).
Le diagnostic des intolérances au lactose et au fructose peut se faire par des tests respiratoires mesurant la quantité d'hydrogène et/ou de méthane (21).
Le concept de FODMAPs est récent on compte dans ces derniers le lactose, le fructose, les fructanes, les fructo-oligosaccharides ou FOS, les inulines, les galacto-oligosaccharides ou GOS et les polyoles ; il s'agit de glucides et non de protéines comme le gluten (21).
Il faut noter que même en cas de malabsorption de fructose ou de lactose il n'y a pas nécessairement de signes digestifs chez le patient, si les seuils d'absorption varie d'un individu à l'autre, le seuil de douleur également, les patients les plus susceptibles de présenter des symptômes sont ceux souffrant du syndrome de l'intestin irritable (SII) (22).Ce syndrome est fréquent et touche environ 10% de la population on retrouve parmi les mécanismes de ce dernier, des troubles de la motricité intestinale mais surtout une hypersensibilité viscérale constatée chez ces patients dès 1973, ces malades étant plus sensibles à la distension colique.Cette hypersensibilité résultant également de troubles neurologiques à la fois périphériques au niveau des neurones de la paroi digestive mais également centraux au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière (22).
Il y a désormais de nombreuses études montrant que les patients présentant un SII sont soulagés pour la plupart par un régime pauvre en FODMAPs (23)(24).
Conclusion :
Beaucoup de fausses informations circulent dans la presse et sur internet sur ces sujets,on peut citer par exemple :
-Le régime sans gluten et sans caséine serait efficace dans l'autisme ce qui serait prouvé scientifiquement, cette information est fausse, les études bien conduites et d'une qualité méthodologique suffisante ne montrent pas d'effet (10) ; toutefois il manque un nombre suffisant d'études pour conclure.
-La sensibilité au gluten toucherait de 20 à 40 % de la population (25) nous l'avons vu dans l'article aucune étude épidémiologique fiable existe et les connaissances actuelles plaident pour une prévalence de l'ordre de 1 à 2%.
-Beaucoup de gens pensent à tort que le régime sans gluten serait un régime amincissant.
Ces fausses informations proviennent d'une mauvaise lecture de la littérature scientifique et de confusions multiples sur un sujet qui reste complexe. Ainsi la sensibilité au gluten est souvent confondue avec la maladie cœliaque, le gluten donné comme responsable d'une atrophie villositaire même chez les sujets sains ; je rappelle que seules les personnes atteintes de maladie cœliaque présentent ces anomalies.
Les personnes se pensant sensibles au gluten ne le sont pas pour la plupart comme vu plus haut, ils peuvent présenter une intolérance au fructose ou au lactose, ils peuvent être atteints du syndrome de l'intestin irritable ou être allergiques au blé et enfin ils peuvent présenter une simple affection psychosomatique. Le diagnostic de la sensibilité au gluten reste difficile en l'absence de test de laboratoire. La mode actuelle pour cette pathologie conduit à une surestimation dramatique du nombre de cas et à la conduite parfois mauvaise de régime sans gluten de manière excessive. Mal conduit le régime sans gluten peut occasionner des carences alimentaires et de toute manière avoir un retentissement financier important pour les personnes vu le prix des produits sans gluten, ainsi qu'un retentissement majeur sur la vie des personnes.
On peut supposer que l'industrie agroalimentaire trouve son compte dans cette affaire étant donnée les prix pratiqués et il est urgent d'avoir une meilleure information du public sur ce sujet et de poursuivre la recherche. Il faut également que les médecins s'informent et écoutent les malades, non seulement afin de mieux les guider mais également d'éviter que faute de prise en charge par le corp médical ces patients souffrant d'affections digestives diverses s'auto-diagnostiquent comme sensibles au gluten et conduisent eux même des régimes sans gluten pouvant être néfastes et inutiles.
Références :
1-Près d'un tiers de la population aux USA cherche à diminuer sa consommation de gluten :
"But we're not hypochondriacs" : the changing shape of gluten-free dieting and the contested illness experience.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=lauren+ren%C3%A9e+moore
2-Les projections du marché sans gluten aux USA :
Gluten sensitivity : problems of an emerging condition separate from celiac disease.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22149581
3-La gliadine déclenche des processus inflammatoires et immunologiques :
Coeliac disease and gluten sensitivity.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21481018
4-les lectines ont aussi des effets immunologiques :
Dietary lectins can induce in vitro release of IL-4 and IL-13 from human basophils.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10092096
5-les agglutinines et les ATIs ont des effets immunologiques :
Effects of wheat germ agglutinin on human gastrointestinal epithelium : insights from an experimental model of immune/epithelial cell interaction.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19332085
6-Les modifications de la perméabilité intestinale :
Divergence of gut permeability and mucosal immune gene expression in two gluten-associated conditions : celiac disease and gluten sensitivity.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21392369
7-Les modifications du microbiote :
Host responses to intestinal microbial antigens in gluten-sensitive mice.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19649259
8-Augmentation des peptides potentiellement toxiques dans le blé :
Developments in bread-making processes.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10823487
9-Augmentation du taux de gluten dans le pain :
Sourdough lactobacilli and celiac disease.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17008163
10-Autres pathologies pouvant s'inscrire dans la maladie cœliaque :
Gluten-free diet in nonceliac disease.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21586414
11-Prévalence de la maladie cœliaque :
Seroprevalence, correlates, and characteristics of undetected coeliac disease in England.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12801951
12-Traitement de la maladie cœliaque :
Diagnosis and management of adult coeliac disease : guidelines from the British Society of Gastroenterology.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24917550
13-A propos des allergies au blé :
Spectrum of gluten-related disorders : consensus on new nomenclature and classification.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22313950
14-l'une des première description de la sensibilité au gluten :
Gluten-sensitive diarrhea without evidence of celiac disease.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/7419003
15-Psychiatrisation de la pathologie :
Between celiac disease and irritable bowel syndrome : the "no man's land" of gluten sensitivity.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19455131
16-Epidémiologie de la sensibilité au gluten :
Non-celiac gluten sensitivity : questions still to be answered despite increasing awareness.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23934026
17,18-Etudes en double aveugle sur la sensibilité au gluten :
Gluten causes gastrointestinal symptoms in subjects without celiac disease : a double-blind randomized placebo-controlled trial.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21224837
Non-celiac wheat sensitivity diagnosed by double-blind placebo-controlled challenge : exploring a new clinical entity.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22825366
19-Mécanisme de la sensibilité au gluten :
Are non-celiac disease gluten-intolerant patients innate immunity responders to gluten ?
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22138947
20-L'intolérance au lactose :
Review article : the aetiology, diagnosis, mechanisms and clinical evidence for food intolerance.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25471897
21-Sur les FODMAPs :
Review article : fructose malabsorption and the bigger picture.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17217453
22-Le syndrome de l'intestin irritable :
Physiopathologie des TFI et implications thérapeutiques
http://www.fmcgastro.org/wp-content/uploads/file/pdf-2013/intestin-irritable.pdf
23,24-Etudes montrant l'efficacité d'un régime pauvre en FODMAPs dans les SII :
A diet low in FODMAPs reduces symptoms of irritable bowel syndrome.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24076059
The diet low in fermentable carbohydrates short chain and polyols improves symptoms in patients with functional gastrointestinal disorders in Spain
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25458546
25-Exemple de mauvaises informations sur la sensibilité au gluten :
http://www.force-serenite.fr/index.php/objectif-vitalite/physique/40-intolerance-gluten
71 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON